Visions du Réel 2020

ÉVÉNEMENT
[ Programmation numérique ]

texte
Luc Chaput

En tant que critique de cinéma, j’ai couvert, depuis au moins une vingtaine d’années, de nombreux festivals, surtout à Montréal. En tant que membre de la FIPRESCI, j’ai aussi participé à ces jurys locaux ou internationaux qui décernent des prix de la critique dans de nombreuses manifestations cinématographiques. Ce fut là l’occasion de voyages, rencontres, visionnements, discussions et événements divers. La pandémie actuelle a changé complètement la donne. Certains festivals montréalais comme le FIFA et Vues d’Afrique (voir ici et ici) se sont adaptés optant pour la version numérique en ligne. Et somme toute, avec un succès certain.

Un festival au loin

Visions du Réel, le festival de Nyon  sur les bords du lac Léman en Suisse existe depuis cinquante et un ans et a été fondé par le couple Moritz et Erika de Hadeln.  La direction de ce festival a donc décidé de monter rapidement une version en ligne cette année avec diverses modalités d’accès. J’ai donc pu regarder au loin de chez moi de nombreux films proposés pendant cette quinzaine, du 17 avril au 2 mai. Nous vous proposons un compte-rendu des deux compétition, dont la directrice artistique Émilie Bujès a changé les noms et objectifs de certaines compétitons en les anglicisant, Regards neufs par « Burning Lights » et Premiers Pas par « Opening Scenes ».

Dans Burning Lights les frontières entre la fiction, le documentaire et même la docufiction sont plus floues. The Other One (El otro) du Chilien Francisco Bermejo emploie tout d’abord la fiction puisque le protagoniste lit Moby Dick de Melville dans sa cahutte sur le bord de l’océan Pacifique près de Valparaiso. Il a une relation conflictuelle avec son jumeau colocataire qui lui pêche des mollusques et trouve sur le rivage une baleine qu’il s’emploie à dépecer. La ressemblance très frappante entre les deux peut mener le spectateur à se poser la question, à savoir lequel des deux existe vraiment et si l’on n’est pas dans une variation réaliste de The Other (1972) de Robert Mulligan d’après le roman éponyme de l’acteur Tom Tryon. Portrait en miroir d’un homme confronté à sa maladie et à sa pauvre existence, ce documentaire méritait amplement le Grand prix de cette section.

Le moyen métrage Pyrale de la Française Roxanne Gaucherand s’est mérité le Prix du Jury dans cette section.  Gaucherand tisse une histoire d’amour pendant l’infestation d’un lépidoptère qui amène questionnement, confinement et récriminations dans les vallons habituellement verdoyants bordant les deux côtés du Rhône en Provence et en Ardèche. L’urgence d’agir en temps de catastrophe peut ainsi amener à revoir, dans une autre lumière, certains liens personnels.

Parmi les autres œuvres, on signalera Le disqualifié (El-medestansi) où le réalisateur tunisien Hamza Ouni élabore une chronique fragmentée et de longue haleine de la vie de son voisin et ami Mehrez. Il le filme dans diverses circonstances, dans son travail d’acteur, danseur ou directeur de troupe et le confrontant quelquefois dans sa banlieue de Tunis qu’est Mohammedia ou en Europe. La vie en dents de scie de l’artiste est livrée dans des allers-retours quelque peu déroutants où l’apparence changeante du comédien permet de s’y retrouver dans cette critique de la place de l’artiste dans un société dans laquelle les restrictions évoluent.

Le moyen métrage Pyrale de la Française Roxanne Gaucherand s’est mérité le Prix du Jury dans cette section.  Gaucherand tisse une histoire d’amour pendant l’infestation d’un lépidoptère qui amène questionnement, confinement et récriminations dans les vallons habituellement verdoyants bordant les deux côtés du Rhône en Provence et en Ardèche. L’urgence d’agir en temps de catastrophe peut ainsi amener à revoir, dans une autre lumière, certains liens personnels.

Ce sens du lieu évident dans ces trois films est la grande force du gagnant du Sesterce du Grand prix de la compétition internationale. La réalisatrice italienne Francesca Mazzoleni s’y livre à un hommage senti et démontré aux femmes jeunes, matures et âgées qui combattent quotidiennement de faire de l’Idroscalo di Ostia une Punta Sacra.  Cette ancienne base d’hydravions à l’embouchure du Tibre à Ostie, port déjà célèbre dans la Rome antique, contient une section où des masures et des immeubles mieux construits servent de résidences à une population qui naguère aurait pu être le sujet et le cadre de certains films du célèbre PP Pasolini. Il est d’ailleurs mort assassiné non loin de là en 1975. Chaque chapitre de ce journal annuel commence par un plan de drone en plongée qui permet de scruter divers éléments du lieu. La cinéaste suit ensuite chez elles ces diverses femmes qui constituent l’épine dorsale des actions sociales nécessaires à répandre la joie et l’espoir dans ce lieu qui semble au bout du monde et pourtant si près du Colisée ou du Vatican. Des adolescentes, des jeunes gens pêcheurs ou un rappeur d’origine chilienne rajoutent d’autres visages différenciés à cette mosaïque menée de main de maîtresse par cette réalisatrice.

À l’autre bout de l’Italie en Calabre, se dresse un village montagneux, Pietrapaola, partie d’une commune qui dévale les pentes vers une station balnéaire. Le réalisateur Daniel Kemeny est revenu sur les lieux de son enfance pour escalader ces escaliers, voir ces grottes, côtoyer et épier ses habitants tout en récoltant de multiples bruits, sons et notes de musique de ces anciens voisins dont certains âgés se préparent à quitter leur demeure ancienne. Sone porte bien son titre tant les interactions entre son et image sont le fruit d’un travail d’orfèvre. Il n’a malheureusement pas gagné de prix comme d’ailleurs le portrait d’un compositeur turc de musique électronique, Mimaroğlu: The Robinson of Manhattan Island. İlhan Mimaroğlu a passé avec son épouse Güngör l’essentiel de son existence à New York où il travailla à l’université Columbia et fut directeur de l’étiquette Finnadar chez Atlantic Records. L’emploi de larges extraits d’une émission de radio du protagoniste sert de base à un parcours biographique soutenu par de nombreuses archives filmiques et audio et de témoignages de critiques musicaux et d’amis. L’entreprise contient quelques surprises.

De nombreux autres longs métrages tels The Pageant, Non Western, Off the Road, Anerca Breath of Life, The Silhouettes, El Father Plays Himself ou Davos complétaient cette offre importante. Ce site aura sûrement la possibilité de revenir sur plusieurs d’entre eux lors des prochains festivals montréalais qui prendront ainsi le relais de cette noria cinéphile.