Antony & Cleopatra

CRITIQUE
[ de la Scène à l’Écran ]

texte
Élie Castiel

★★★ ½

L’esprit shakespearien demeure intact quant au rythme, au verbe, aux mots et à ce qu’ils cachent ou mettent au grand jour. Une histoire d’amour, simple, aux rebondissements politiques et romanesques qui dépassent l’entendement. Puisque derrière les trahisons, les amours véritables, le pouvoir intransigeant, la vengeance à deux visages, ces ingrédients qui font qu’une pièce de théâtre est ce qu’elle est, prête à s’offrir en pâture aux témoins de la salle, le spectacle de la vie est total.

La morsure du serpent

La production de Simon Godwin pour le NTL (National Theatre Live) s’adapte aux temps modernes, à un sans-gêne qui mélange le classique à l’imaginaire; tant dans la scénographie qui s’adapte à différentes époques de l’Histoire et de la peinture que dans tout le processus de création.  Digne fin qui s’approche le plus près de la tragédie hellénique tant par la simplicité clinique du décor que par l’interprétation.

Mais cette production vaut surtout pour le registre des interprètes, Ralph Fiennes et Sophie Okonedo, tous les deux souverains, c’est le cas de le dire, allant du drame à la comédie avec la plus ample désinvolture. Et c’est là où, justement, le bât blesse. Ces changements de ton, ces variations dans la diction désorientent et peuvent mener les spectateurs dans d’autres rives narratives. Mais Antony & Cleopatra n’est-elle pas une tragédie particulière parmi celles de Shakespeare?

Il faut lire les sous-titres (anglais), conseil adressé à ceux qui ne maîtrisent pas la langue de l’auteur anglais. Parfois, on se demande même si on ne devrait pas traduire les œuvres classiques en langue moderne, sans sonnets, ni vers, ni autres variations du genre; autrement dit, un langage parlé.

Ceci dit, la production du NTL, en dépit de sa longueur, trois heures parfois interminables, suscite notre curiosité notamment par la thématique si chère à Shakespeare : l’amour passionnel, le désir de la chair,  les différences culturelles entre une Rome impériale et une Égypte sous le poids des traditions.

Le début montre la fin et la suite est un flashback où le kitsch le plus percutant se juxtapose aux nécessités du théâtre traditionnel. Beau travail dans le décor, assez varié pour donner à sa conceptrice des maux de tête. Elle s’en sort de main de maîtresse avec une dextérité lumineuse et ne recule devant rien pour s’extérioriser. La musique ambiante marie magnifiquement les diverses tonalités, accentuant le drame.

Si les Grecs rejettent la vue du sang dans leurs tragédies, le théâtre shakespearien, fidèle à l’inspiration anglo-saxonne,  ne s’embarrasse guère de le montrer – harakiri d’Antony, précédé de celui d’Éros (efficace Fisayo Akinada).

Et cette meurtrissure du reptile que tous attendent avec impatience demeure un des plus beaux moments de la pièce, car il s’agit d’une double métaphore. D’une part, la prise de conscience que même les dieux sont mortels, mais également, et plus que tout, la réalisation que l’amour est plus fort que tout.

Si aux États-Unis, les comédiens afro-américains prennent d’assaut, et à juste titre, l’écran et de plus en plus la scène, en Grande-Bretagne, du moins dans le théâtre londonien, il s’agit sans doute d’un état normatif depuis longtemps. L’afro-europanéité se confirme et assume son indépendance avec une jubilation sans égale.

Nous sommes les observateurs d’un Moyen-Orient conflictuel et d’un Occident romanisé qui tente d’étaler son pouvoir dans le reste du monde. Entre ces deux pôles d’attraction ou mieux dit d’aliénation, seuls les épanchements du coeur et du désir peuvent venir à bout de l’agression. Et cette meurtrissure du reptile que tous attendent avec impatience demeure un des plus beaux moments de la pièce, car il s’agit d’une double métaphore. D’une part, la prise de conscience que même les dieux sont mortels, mais également, et plus que tout, la réalisation que l’amour est plus fort que tout.

NATIONAL THEATRE LIVE
Texte
William Shakespeare

Production
Simon Godwin

Réalisateur
Matthew Wenham

Scénographie
Hildegard Bechtler

Éclairages
Tim Lutkin

Musique
Terry Eldridge, Roman Benedict
Hannah Horsburgh, Rocky Shahan

Son
Christopher Shutt

Costumes
Evie Gurney

Vidéo
Luke Halls

Distribution
Sophie Okonedo (Cleopatra), Ralph Fiennes (Antony)
Katy Stephens (Agrippa), Fisayo Akinada (Eros)
Gloria Abianyo (Charmain), Nicholas Le Prevost (Lepidus)
Hannah Morrish (Octavia), Tunji Kasim (Caesar)

Production-HD
By Experience

Durée

3 h 04 min
[ Sans entracte ]

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

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Jusqu’au mercredi 8 mai 2020