Stalags

DÉCOUVERTE.
Numérique

SUCCINCTEMENT
Au cours des années 1960, en parallèle au procès d’Adolf Eichmann, Israël connaît une recrudescence d’un sous-genre particulier des Pulp Fictions, des écrits pornographiques dont les pages couvertures font titiller avec débordement les nouvelles générations d’adolescents mâles et de plusieurs de leurs ainés. La société n’hésite pas à juger ces publications comme de purs exemples d’antisémitisme. Enquête.

CRITIQUE.
[ Sphères LGBT ]

texte
Élie Castiel

★★★★ 

Les auteurs de ces publications ont pour nom Mike Longshot, Ralph Butcher ou encore Mike Baden, des vocables aux appellations plus que discutables. Derrière ces pseudonymes se cachent des auteurs israéliens de la tendance (soft)-pornographique, dont certains des survivants de l’Holocauste ou de nouveaux initiés. Face à un sujet, à l’époque, tabou en Israël, la première partie du film s’inscrit dans une tentative de situer les auteurs face aux critiques, à des auteurs illustres et à une société indifférente qui, elle, n’est intéressée (particulièrement les hommes de toutes classes sociales) qu’à satisfaire leur curiosité génitale.

La face cachée des interdits

Ne sommes-nous pas au début des années 1960, quinze ans à peine après la Seconde Guerre mondiale. Le monde veut oublier, rebâtir son avenir, et Israël, même si situé au Moyen-Orient, s’occidentalise plus que jamais et vit en Européen, d’où proviennent, pour l’instant, la majorité de ses habitants – On reconnaîtra parmi les diverses pièces musicales choisies, deux tirées du film Strip-tease de Jacques Poitrenaud, signée Serge Gainsbourg (et Alain Goraguer) – Ironiquement, la vedette féminine était campée par Christa Nico, du groupe Velvet Underground, l’actrice-chanteuse en question ayant eu des démêlés antisémites avant sa mort.

Dans sa courte critique du film de Libsker, dans le New York Times, Laura Kern semble plutôt expéditive, la plume pudiquement féministe, mais pas trop, se limitant à donner des détails sur le documentaire en forme de spoilers, sans vraiment saisir ce qui se cache derrière les propos des intervenants.

Nº 3 du magazine israélien Stalag (épuisé)

Quand l’époque des Longshot, des Butcher et des Baden, plus besoin de se cacher. Eli Keidar (a.k.a. Nachman Goldberg), Isaac Guttmann (éditeur et auteur de l’extravagant I Was Colonel Schult’z Private Bitch) n’y va pas de main morte. Faire facilement du fric avec ce qui marche le plus, le sexe, et pourquoi pas? Il y aura aussi K. Zetnik, dont l’évanouissement lors du procès Eichmann est un véritable morceau d’anthologie documentaire pris sur le vif. De son vrai nom Jehiel Dinur, il amalgame récits tragiques et vérités humaines – Salamandra (1946). Sans doute, l’un des écrivains israéliens des plus mystérieux, le premier à avoir écrit en hébreu sur cette période sombre de l’Histoire de l’humanité.

Dans Stalags, la pulsion sexuelle sans compromis, et sans qu’on le dise, est un phénomène hormonal particulièrement masculin. Mais plus que tout, le film remet en question les notions millénaires d’Éros et de Thanatos, de l’amour dans toutes ses formes, de la libido, des pulsions incontrôlables et de leurs rapports à la mort (même celle véhiculé par les pires sévices), comme si entre les deux extrêmes, le sort de l’humanité ne tenait qu’à un mince fil prêt à se briser, sans aucun avertissement.

On retiendra les propos d’auteures comme Ruth Bondy, qui a préféré effacer le numéro qu’elle portait sur son bras, survivante de la Shoah; ou encore l’historienne et académicienne Naama Shik qui, de façon illuminée, s’oppose à la thèse du film de Libsker.  On retiendra également les paroles bien-fondées du critique littéraire Dan Miron et d’autres personnalités qui se penchent sur la question. On évoquera les célèbres Kapo (magnifiquement illustrées dans Kapo (Kapò), de Gillo Pontecorvo (lui-même, Juif), particulièrement dans le contesté plan-séquence d’entrée en matière qui a divisé la critique internationale et dont la signification emblématique résume toute une époque.

Si le documentaire de Libsker est tourné en noir et blanc, proche du gris sombre, c’est pour mieux cerner le côté archivistique et l’époque derrière le sujet, contrecarrant  séditieusement les couvertures du magazine dont il est question, elles, illustrées en couleur, le jaune, très courant à cette époque dans les magazines de culture populaire.

L’idée du film est venue à partir de la b.d. From Tarzan to Zbeng, de l’Israélien Eli Eshed. À voir le graphisme à gauche, on peut comprendre ce choix. Les Heymann Brothers n’ont jamais fait dans la dentelle, intentionnellement, quitte à se casser la gueule. Et c’est comme ça qu’on les aime et on apprécie leurs productions, des films iconoclastes, souvent (mais pas toujours) sur la communauté LGBT, mais toujours fidèles à leur regard sur les images en mouvement, facteurs de mille et une interrogations sur l’expérience humaine.

Dans Stalags, la pulsion sexuelle sans compromis, et sans qu’on le dise, est un phénomène hormonal particulièrement masculin. Mais plus que tout, le film remet en question les notions millénaires d’Éros et de Thanatos, de l’amour dans toutes ses formes, de la libido, des pulsions incontrôlables et de leurs rapports à la mort (même celle véhiculé par les pires sévices), comme si entre les deux extrêmes, le sort de l’humanité ne tenait qu’à un mince fil prêt à se briser, sans aucun avertissement.

La cinématographie et la société israéliennes ne cessent de nous étonner.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Ari Libsker

Genre(s)
Documentaire

Origine(s)
Israël

Année : 2007 – Durée : 1 h 03 min

Langue(s)
V.o. : hébreu; s.-t.a.

Stalagim

Dist. @
[ Film Forum  ]

Disponibilité
Amazon.com

ÉTOILES FILANTES
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½ [ Entre-deux-cotes ]