Wintopia

PRIMEUR
Sortie
Vendredi 26 mars 2021

SUCCINCTEMENT
Pendant de longues périodes, Peter Wintonick a sillonné le monde, loin de sa famille, à la recherche d’un endroit où les humains pourraient vivre heureux. Un projet qui lui tient à cœur : la réalisation de Utopia. Sa fille se penche sur ce documentariste singulier

LE FILM
de la semaine.

★★★★

texte
Élie Castiel

C’est à une lettre d’amour adressée à son père que se livre Mira Burt-Wintonick. Une épître d’images fixes et en mouvement, pour arrêter le temps. Ou mieux encore, pour le situer dans un contexte de continuité, d’héritage spirituel qui servirait à quelque chose de plus intime. Des échos conservés par son père dans des cassettes VHS.

Et c’est aussi l’occasion pour la jeune réalisatrice de parler de soi, de son enfance auprès d’une mère qui l’a toujours soutenue, mais surtout d’un père absent, totalement investi dans son travail, le plus souvent peu rémunéré, de documentariste.

Peter Wintonick…

                   ou l’exercice de l’utopie

Ethnologue du monde par le biais des images en mouvement, des disparités qu’il occasionne, ses travers, son portrait selon un œil investigateur. Sa famille, Peter Wintonick l’aime inconditionnellement. À sa façon, même dans ses absences répétées. Et lorsque la fin arrive, une sorte de réconciliation avec Mira, sa seule fille. Avec la mère, nul besoin d’affirmer sa vie de bohème du cinéma. Elle savait, elle, Christine Burt, que la vie avec Peter serait ainsi. Cinéaste indépendant qui ne peut se résoudre à des règles de conduite.

Et LE film d’une vie, pourtant coréalisé avec Mark Achbar, Manufacturing Consent: Noam Chomsky and the Media (Chomsky, les médias et les illusions nécessaires), en 1992. Est-ce le fait du hasard, pas vraiment à y voir de près. Même impulsion chez Burt-Wintonick, cette intuition à mener son journal d’une absence avec le même enthousiasme que son père filmait.

Des plans fixes, des documents d’archives intelligemment choisis et montés, une sincérité dans le propos qui évite catégoriquement le pathos pour mieux discerner le moment, ou encore mieux ces moments d’inspiration, comme les quelques instances où père et fille s’inscrivent ensemble dans la vie.

L’utopie, un mot qui veut tout et rien dire.

Plutôt que de déconstruire le documentaire, Mira Burt-Wintonick absorbe les codes du genre pour les situer dans une réalité poétisée par le médium que représente le cinéma, excluant toutes influences extérieures ou tendances de l’heure.

La mise en abyme ou le film dans le film, c’est aussi une mise en abyme de soi, de son identité réorganisée ou encore mieux reconstruite. Christine, la mère n’est pas autant filmée et lorsque c’est le cas, c’est pour lui administrer des gestes maternels même si elle présente des comportements de femme libre. Sûre d’elle.

Le format VHS, qui apparaît aujourd’hui comme une antiquité, c’est, dans Wintopia, oser le montrer dans un contexte confidentiel, confirmant jusqu’à quel point le documentaire est une forme de cinéma atteinte de dégagement et d’affranchissement, justement parce qu’il a toujours fonctionné ainsi, la plupart du temps, selon une approche quasi intimiste.

Car Wintopia, titre qu’on devine entre les lignes et qui n’a pas besoin d’explications, est un choix téméraire, non seulement une confession singulière, mais aussi et peut-être sans doute, une alternative à parler de soi en parlant de son géniteur. Proposition d’autant plus convenable, circonstancielle, abreuvée par la simple idée d’interroger le temps, de boucler la boucle. Et c’est dans la réalisation du film que la réconciliation n’est plus une utopie, mais une possibilité abstraite.

L’absence du père est pour Burt-Wintonick le prolongement d’un état d’esprit. Et un livre fétiche, le Don Quichote de Cervantes que le père chérissait. Que dire de plus sur ce qu’il représente, autant pour le père que pour la fillle, cette fois-ci réconciliée.

L’utopie, un mot magique qui veut tout et rien dire. Et pourtant le sujet d’un film que Wintonick, le père, voulait faire. Contre vents et marées. Il y tenait, non pas par pur égocentrisme ou folie des grandeurs, mais pour se réconcilier, à son tour, avec la vie. Mira, qui découvre les fameuses 300 vidéocassettes et ce qu’elles montrent. Des images qui parlent, se substituent au temps qui passe et raconte l’Histoire.

Et sans doute que dans sa quête à comprendre une personnalité métaphoriquement utopique que Mira Burt-Wintonick a trouvé sa propre voie. D’une certaine façon, se second long métrage est le prolongement de PilgrIMAGE (2009), alors que le duo père-fille entamait une exploration documentaire.

L’absence du père est pour Burt-Wintonick le prolongement d’un état d’esprit. Et un livre fétiche, le Don Quichote de Cervantes que le père chérissait. Que dire de plus sur ce qu’il représente, autant pour le père que pour la fillle, cette fois-ci réconciliée.

Reste à savoir si Burt-Wintonick continuera son travail de cinéaste à la recherche d’autres utopies.  Congrats, Mira, for your beautiful film.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Mira Burt-Wintonick

Images : Peter Wintonick

Montage : Anouk Deschênes

Musique : David Drury

Son : Marie-Pierre Grenier

Mira Burt-Wintonick

Genre(s)
Essai documentaire

Origine(s) : Canada

Année : 2019 – Durée : 1 h 29 min

Langue(s)
V.o. : anglais; s.-t.f.

Wintopia

Dist. @
ONF
Eye Steel Film

Classement
Tous publics

En salle(s) @
Cinéma du Musée
Cinémathèque québécoise

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]