ÉVÈNEMENT
[ Cinéma ]
texte
Luc Chaput
De la vie
quotidienne
Un homme vêtu d’un habit de lumière dans une arène de sable est devant un taureau, masse vivante noire ou bicolore qui foncera sur lui. Le matador péruvien Andrés Roca Rey donne ainsi une prestation dans ce théâtre circulaire par un après-midi habituellement ensoleillé. Les travaux et les jours sont un des thèmes porteurs de cette édition du Festival du Nouveau Cinéma de Montréal.
Albert Serra (La Mort de Louis XIV), avec la contribution de son directeur photo Artur Tort, filme ce jeune homme habituellement en plans moyens montrant la beauté des gestes de l’un et de l’autre et redonnant à ces bêtes anonymes, du moins pour nous, une dignité certaine dans une mise à mort chorégraphiée en des passages déterminés et en des variations quelquefois inédites. La journée de cet artiste avant et après sa performance à deux est décrite dans un montage précis du cinéaste et de Tort dans lequel seuls les interjections de la quadrille servent de commentaire. Le public est presque toujours hors champ dans cette représentation fragmentée d’un spectacle sur des morts programmées et d’autres toujours possibles. Pour cette approche complexe de la tauromachie, Afternoons of Solitude (Tardes de soledad) méritait bien le Grand prix du festival de San Sebastian.
Afternoons of Solitude
I’m Not Everything I Want
Une jeune tchécoslovaque s’intéresse à la photographie et prend de nombreuses images. Elle ne peut étudier dans les écoles du régime et devient ouvrière. Portant le plus souvent son appareil, elle accumule des clichés sur tout et rien, la vie qui bat, ses amours compliquées et les existences marginales. Des circonstances voulues ou fortuites l’amènent à changer plusieurs fois de pays et d’emploi et à connaître une certaine notoriété. Sa compatriote tchèque, la réalisatrice Klara Tasovská construit un flot incessant de ces photos agrémenté d’effets stroboscopiques et soutenu par la voix chaude de Libuše lisant des extraits de ses journaux intimes. L’alliance réussie entre voix, images et musique permet d’apprécier l’implication de Libuše Jarcovjáková dans son siècle résumée dans ce titre I’m Not Everything I Want to Be (Jeste nejsem, kým chci být).
Through the Graves the Wind is Blowing
Un touriste tombe de la tour de la cathédrale à Split en Croatie. Le service touristique retarde indûment l’enquête du policier Ivan Petric. Celui-ci s’en plaint à la caméra du cinéaste américain Travis Wilkerson, séjournant dans cette ville. Le réalisateur alterne deux récits, celui d’Ivan expliquant que la population de cette ville hait les touristes qui perturbent leur quotidien pour visiter entre autres un lieu employé dans la série Game of Thrones. Wilkerson, rendu célèbre en 2017 pour son enquête filmique Did You Wonder Who Fired the Gun?, sur son arrière-grand-père membre actif du Ku Klux Klan, retrace par divers moyens l’histoire de ce pays depuis les années 1930 et la place de son célèbre club local de football. Dans ce long métrage, Through the Graves the Wind is Blowing, dont le titre est un vers de Partisan, chanson de Leonard Cohen, il y remarque la persistance des symboles de l’Oustacha, organisation fasciste responsable entre autres du camp de concentration de Jasenovac.
Wilkerson triture plusieurs fois la pellicule dans cette plongée dérangeante au coeur de la terreur ordinaire plus ou moins cachée sur les bords de l’Adriatique. Nous reviendrons durant l’année sur d’autres films présentés par ce festival tel Dahomey, Ours d’or à Berlin comme nous l’avons fait récemment pour The Apprentice, de Ali Abbasi.