Je suis allé voir le film The French Dispatch – titre curieusement traduit au Québec en French Dispatch du Liberty, Kansas Evening Sun, dont personne ne se souviendra – dans sa version doublée en France. Les merveilleuses voix françaises donnent une plus-value artistique au film original de Wes Anderson.
Certes, les personnages anglo-saxons se mettent tous à parler français, mais ceux qui auraient dû normalement parler cette langue dans la version originale (Timothée Chalamet et Léa Seydoux, notamment) et non l’anglais – l’action se situant quand même en France –, se retrouvent en revanche dans la version doublée à parler leur langue maternelle. Incongruités pour incongruités, je préfère celles générées par la version doublée, car, libérés que nous sommes de l’obligation de lire les sous-titres (qui doivent être interminables, vue l’ampleur du texte parlé), elle nous permet d’apprécier pleinement le jeu multiple des comédiens, la beauté des images – tantôt en couleurs, tantôt en noir et blanc –, des décors et des costumes, sans oublier la virtuosité du montage. Ce qui aurait été désastreux, par contre, c’est que le doublage se fasse au Québec.Suite
SUCCINCTEMENT. À Bucarest, de nos jours, Cristi doit composer avec son travail dans une gendarmerie et sa vie privée, marquée entre autres, par son orientation sexuelle.
CRITIQUE. [ Sphère LGBT ]
★★★★
texte Élie Castiel
Un premier long métrage violemment puissant, d’une liberté de ton inaccoutumée, sensorielle, posant un regard sans concessions sur la réalité homophobe d’une Roumanie prisonnière de son conservatisme hérité des pays de l’Europe de l’Est et des Balkans. Un machisme patriarcal, mais en même temps totalement assimilé par les femmes, un comportement qu’elles défendent.
Comme l’illustre impétueusement ce long plan-séquence majestueux dans une salle de cinéma de la capitale où on tente de projeter un film à thématique LGBT. Un groupe de citoyens d’extrême droite arrête le début de la projection, brandissant des étendards patriotiques et des icônes religieuses, provoquant une certaine violence avec l’assistance. Craintifs, la plupart des spectateurs ont simplement quitté.
Cristi est parmi les forces de l’ordre. La caméra le capte avec une distanciation des plus discrètes, tout en se permettant un 360º subliminal qui se faufile à travers les rangées et se glisse sans qu’on se rende compte dans le hall d’entrée du cinéma ou les prises de bec ont lieu entre parties opposées et la gendarmerie. Le film est au service du plan-séquence, choix esthétique qui se plie amoureusement au récit, d’une simplicité sociale et politique époustouflante. Le discours se juxtapose ainsi avec une précision bouleversante à la narration, ici, comme si la fiction se transformait en reportage documentaire. Jebeleanu, ouvertement gai, sait exactement ce qu’il veut montrer. Sa parole est d’une émotion palpable. Elle ressemble à un cri que viennent accentuer les paroles incertaines de quelques spectateurs, surtout spectatrices, qui se trouvaient dans la salle et capté(es) par la caméra. Aucun champ/contrechamp, mais une chorégraphie plan-séquentielle qui doit sa maturité autant au cinéaste qu’au directeur photo.
P R I M E U R [ Hors-série ] Sortie Vendredi 22 octobre 2021
SUCCINCTEMENT.
Zed, un chanteur de hip-hop d’origine anglo-pakistanaise, est sur le point d’entreprendre une tournée importante. En séjour chez ses parents, il est hospitalisé pour une maladie auto-immunitaire inexpliquée, mettant en péril ses projets.
CRITIQUE.
★★★ ½
texte Élie Castiel
PRÉAMBULE : Normalement, nous n’aurions pas dû publier la critique de ce film puisqu’il ne sort que deux fois à Montréal. Notre politique éditoriale s’adresse aux sorties d’au moins une semaine complète à raison d’un minimum d’une fois par jour. Ceci est une exception à la règle que nous tentons d’éviter le plus possible. Pour cette raison, nous avons indiqué P R I M E U R [ Hors-série ] plutôt que [ En salle ].
D’origine pakistanaise, l’Américain Bassam Tariq conserve des traits de sa culture dans son premier long métrage de fiction. Compte tenu de ses influences occidentales acquises dès son jeune âge, alors que ses parents s’établissent aux États-Unis, il signe Mogul Mowgli en intégrant des signes particuliers propres à sa culture à l’intérieur d’un récit qui tient sur deux fils identitaires fragiles, sans véritable lieu, pris entre un Occident libre et fier de sa liberté acquise due une certaine forme de laïcité et un Orient encore profondément épris des valeurs traditionnels et notamment en ce qui a trait à la religion. D’où ces excès dans le film qui, pour le commun des mortels, peuvent paraître énormes, déroutants, anachroniques, appartenant à un autre siècle.
Dans ce contexte, le personnage de Zed – imbattable Riz Ahmed, puissant, spectaculaire, illuminant l’écran avec une puissance dantesque dans toute sa naïveté et sa fragilité – ne peut que déconstruire sa réalité comme chanteur de rap, par ses paroles qu’on comprend à peine, ses compromis avec la terre d’accueil, ses changements de comportement entre la vie ailleurs et celle en famille. Ahmed évoque ainsi Sound of Metal(2019) où il composait un personnage quasi identique.
Bassam Tariq signe un premier film puissant, un récit fictionnel qui prend la réalité et la décortique en petits morceaux qui ont à voir avec les blessures du corps et de l’âme, véritables emblèmes de l’existence. Même si cela mène au délire ou dans des lieux de naufrage existentiels.
Qu’importe, la maladie est ici une métaphore, certes stratégie-cliché, mais non dépourvue de signification. La maladie ou l’impuissance d’être, d’exister, de respirer dans un lieu qui refuse l’identitaire autre, qui le manipule, qui le force à des attitudes excessives pour pouvoir s’exprimer.
Et face à ces difficultés externes, le poids hallucinant de la cellule familiale qui, dans le film en question, donne lieu à des séquences extraordinaires, riches dans l’art de l’interprétation et de la persuasion, surtout entre Riz Ahmed et Ally Khan, Bashir, son père, parfait dans la forme de maintenir ses distances entre le pathos, la masculinité propre aux principes orientaux et cette philosophie de vie, retenue de l’Islam quant au destin que réserve Dieu à tous les individus.
Déconstruire
les codes de l’assimilation
Riz Ahmed, une performance digne de l’Actors Studio.
Et comme on s’y attend, comme dans les films Bollywood ou même dans le cinéma d’auteur indiens, on ne passe pas par quatre chemins. Les gestes, les attitudes, les comportements, les paroles directes ou celles que l’on retient, tout est chorégraphié selon un mode de vie impossible à modifier, quel que soit l’endroit où l’on se trouve.
Comme dans Sound of Silence, un refus du différent en même temps qu’une farouche envie de changer. Pris entre deux feux qui consument l’âme.
Et lorsque la maladie se présente, comme cela, à l’improviste, les enjeux sont d’autant plus dramatiques qu’ils renvoient à une remise en question totale de l’existence : son physique, son identité propre, ses amitiés, ses amours, sa cellule familiale.
Bassam Tariq signe un premier film puissant, un récit fictionnel qui prend la réalité et la décortique en petits morceaux qui ont à voir avec les blessures du corps et de l’âme, véritables emblèmes de l’existence. Même si cela mène au délire ou dans des lieux de naufrage existentiels.