Fantasia 2022
… V

ÉVÉNEMENT.
[ Festival ]

texte
Élie Castiel

Regards

en

fin

de

parcours

Le présentiel nous a ravi, gardant notre cap avec plus de ravissement face au cinéma de genre, parce que sur grand écran, comme il se doit. Et en plus, sentir le pouls et les ruminations canines et surtout félines de l’assistance. Côté présentation et Q&R (Q&A comme il est communément permis de dire)… [le] français… connais pas! Ça se déroule en anglais alors que l’assistance et majoritairement francophone – la traduction, même si ce n’est pas du « mot-à-mot », ça sert quand même à quelque chose. Aucun souci, personne ne se plaint, sauf ceux et celles (peu nombreux) qui savent encore que nous sommes au Québec et que les institutions québécoises subventionnent l’événement. On verra bien pour l’an prochain!

Megalomaniac   

Megalomaniac, du franco-marocain Karim Ouelhaj a obtenu le prix Cheval noir, la plus haute récompense à Fantasia. Dérangeant, obsessionnel, servi corps, par une actrice formidable, Éline Schumacher totalement consciente du rôle jouissivement ingrat qui l’attend et, pourquoi pas, le fantomatique Benjamin Ramon, créant avec une froide ferveur un personnage à la fois symétrique et désespéré et âme (on ne vous dira rien de plus). Pour Ouelhaj, la violence est ici illustrée au profit d’un discours éclaté sur la disparition des sentiments et l’absence du rapprochement des corps. C’est empirique, provocateur, mais garde une humanité sanguinaire qui se rapproche fatalement et ironiquement de notre époque.

Rani Rani Rani

De l’Inde, à propos de Rani Rani Rani, de Rajaran Rajendram, le catalogue officiel de Fantasia rapporte qu’il s’agit aussi d’une réponse cinématographique face à la vague industrielle du cinéma bollywoodien, sauf que le cinéaste, dont c’est ici le premier long métrage, suit malgré tout les codes bollywoodiens (qui, à propos, changent de plus en plus) en les déconstruisant, quitte à nous perdre dans ce récit à voyager dans le temps. On se saisit pas comment deux Indiens d’une équipe de tournage photographique ne parlent pas leur propre langue correctement. N’empêche que cette version inusité de « machine à explorer l’instant » demeure une métaphore intéressante sur la notion de l’espace-temps qui évolue à une cadence inattendue alors qu’on ne se rend pas compte. En fait, Rani Rani Rani ou mesurer le même temps commun en trois versions différentes avec le souci de surprendre le spectateur par les silences et une mise en image splendide.

Comme rampe de lancement à la nouvelle édition de House of Psychotic Women, agrémenté de plusieurs ajouts, Kier-La Janisse, l’auteure, était présente à des projections-clé de trois films des décennies précédentes, Il demonio (The Demon / Le démon dans la chair) de l’italien Brunello Rondi. Le film est de 1963 et demeure une réponse inhabituelle au cinéma des Mario Bava ou autres Jesús Franco qui tournent admirablement dans des décors bien structurés. Lui, par contre, semble avoir retenu les leçons du néoréalisme italien. Et on peut compter sur la présence intelligemment érotique et survoltée de Daliah Lavi (Il corpo e la frusta / Le corps et le fouet), sorte de Barbara Steele israélienne. Sans oublier les ambiguittés fantasmées par les habitants mâles de ce village de haute montagne.

Il demonio

Identikit : Elizabeth Taylor.
Une tentative de se réinventer.

Également, Identikit tiré du roman de Muriel Spark, signé par l’italien Giuseppe Patroni Griffi (Dommage qu’elle soit une putain / Addio fratello crudele), sorti à Montréal et dont on se souviendra de sa rhétorique sado-intellectuelle libératrice. Une curiosité haute gamme. En anglais, The Driver’s Seat / Psychotic, Identikit est le récit émouvant, mais froid, d’une carrière qui s’étiole, d’une étoile qui n’est plus ou du moins disparaît petit à petit face à des concurrentes. C’est le récit de la fin d’une époque (et dans la vraie vie, la rupture entre Elizabeth Taylor et Richard Burton). C’est aussi ce que les années fin-50 et 60 nous ont laissé croire grâce à des images filmiques de rêves, d’illusions, d’histoires d’amour réalisables et surtout d’un rapport privilégié entre le cinéma et les spectateurs. Dommage que les parties en italien aient été doublées en anglais, cette langue, contrairement au française, définitivement pas apte au doublage.

Et Taylor, toujours sublime.

Jean Rollin et la quintessence du voluptueux

Jean Rollin.
Ironiquement, victime de son insuccès hexagonal.
Crédit : Arrow Films

Avec la présentation de Orchestrator Storms : The Fantastique World of Jean Rollin, les programmateurs rendaient hommage à ce cinéaste français atypique comme on aurait pu le rendre à des Max Pécas (sévèrement beaucoup moins talentueux), Jesús Franco ou encore le franco-marocain José Bénazéraf, qui mérite une attention particulière, tous portés par l’attrait féminin, auquel Alain Bernardin, le grand manitou du Crazy Horse de Paris, influencé, comme ceux cités par certains Georges Bataille ou André Breton (et pourquoi pas Cocteau), voire même le Grec Ado Kyrou, ont structuré leur images (ou leurs spectacles dans le cas de Bernardin) selon leurs théories.

Le corps de la femme, comme déjà mentionné, mais mis au service d’un discours philosophique (pas toujours bien exprimé) sur les théories de l’érotique et de la sexualité libre et affranchie. Autre époque impossible aujourd’hui à réitérer à moins qu’accompagnée d’un discours féministe ou mieux dit « post-féministe ». On ne citera pas les films qui sont cités (en fait tous) dans le film, sauf peut-être Fascination, par respect envers Brigitte Lahaie, égérie, inspiration rollinienne  par excellence, star du porno hexagonal des années 70, que pratique Rollin pour des raisons, apparemment, alimentaires. On peut le croire puisque son cinéma des premiers temps devient, à partir de la septième décennie du XXe siècle, impossible à produire et encore moins à réaliser.

Brigitte Lahaie illumine l’écran dans Fascination.

Fascination (Brigitte Lahaie à gauche)
Crédit : Arrow Films

Le lesbianisme « hétérosexualisé » de ces années fécondes, apanage des hommes blancs occidentaux à haute tendance hétéronormative, semble être un des leitmotiv du cinéma de Jean Rollin, qu’il s’agissent de ces essais structurés ou de la porno à haute tension des années qui vont suivre.

Mais ce qui touche le plus dans le documentaire dont il est question, c’est sa conclusion alors que le cinéaste devient l’Homme, le mari, le père, et qu’il subit les ravages de la maladie comme le commun des mortels. La vraie vie reprend son cours. Son cinéma n’aura été après tout qu’un rêve illusoire, qu’une entrée dans le royaume de l’interdit, un interdit transcendé en forme de songe. Les images clownesques, parfois improvisées, mais toujours senties, les corps dénudés (surtout mais pas exclusivement, des femmes) et les pirouettes narratives romantiques émanant d’autres siècles de la culture française, se projettent à travers son cinéma.

Chose bizarre, les critiques et autres historiens (du moins selon mes observations) de la francophonie n’ont pas été si intéressés par ce pan des images en mouvement de leur cinématographie nationale, trop pris et engagés par la Nouvelle Vague et ses multiples transformations et discours. Les Britanniques et les Américains, du moins ceux atteints depuis l’émergence du « cinéma de genre » lui ont manifesté l’attention qu’il mérite.