| Icarus.
Le premier VR de Michel Lemieux

CRÉATION.

★★★★

texte
Élie Castiel

   La proposition en question est une création de la compagnie artistique multidisciplinaire Lemieux Pilon 4D Art, où vous apprendrez tout sur cet artiste accompli qui ne jure que par le présent et le futur immédiat, sans pour cela éviter de jeter un œil averti sur les arts du passé, notamment ceux qui étaient considérés comme bien en avance de leur temps. Ce n’est donc pas surprenant que sa première incursion dans le domaine du VR ou pour les puristes de la langue française, RV (Réalité virtuelle) et un pari, une gageure de tous les instants, une nouvelle approche contemporaine de l’art de la représentation, immersive, concluante, instinctive dans sa recherche esthétique, surprenante par ce qu’elle peut atteindre comme objectifs, ne laissant rien au hasard.

Conserver l’essence

dans tout acte de création

Et pourtant, dans le VR (ou encore une fois, RV) Icarus (Icare) un mythe de l’antiquité grecque qui revient le temps que dure la diffusion, 12 minutes inusitées, aussi atteints de nouvelles formes virtuelles que de prouesses techniques. Un récit, peut-être bien que oui; mais plus que tout une idée, un projet, une mise en contexte actuelle pour mieux comprendre ce qui s’est inventé. Icare, (anti)héros, fils de Dédale. En volant non pas de ses propres ailes, mais celles fabriquées par son père, il monta vers les cieux, mais finit par tomber. Et il mourut. Pourquoi ce drame alors qu’il voulut fuir la prison où il a était fait prisonnier par Minos. Mais assez d’histoires du passé.

Le film n’expose pas totalement ce récit tragique, mais met en contexte les personnages, comme la mère d’Icare, Naupacté, femme anciennent esclave, dont les écrits ne parlent pas beaucoup d’elle. Elle lance un cri de douleur et nous somme transis.

Nous avons eu un tête-à-tête avec Michel Lemieux, le maître d’œuvre de ce VR qui a parcouru plusieurs festivals à travers le monde, dont ceux à Tribeca, Cannes, Londres, Los Angeles et à Bucheon, en Corée du Sud.

On lui fait remarquer que la Grèce antique, depuis quelque temps, semble intéresser le milieu de l’art. Nous évoquons, par exemple, Jean Cocteau, à une autre époque au cours du XXe siècle, qui s’est intéressé au mythe d’Orphée.

«Je suis un grand fan de Jean Cocteau. Je m’identifie à lui dans une grande partie de mon travail. Son esthétique avant-gardiste, un goût pour un certain surréalisme humanisé. Il parle, comme nous parlons, nous les artistes, aujourd’hui, d’Humanité. Elle reste la même malgré le passage du temps, ces milliers d’années qui nous séparent des Premiers êtres humains.»

Icare essaie-t-il d’ignorer le cri de sa mère?

Pourquoi Icare?

«Icare, le personnage, est en quelque sorte le théâtre, la représentation, l’art de convoler en justes noces avec la création. La sémantique, la sémiologie et d’autres facettes intellectuelles deviennent alors proches des spectateurs grâce à l’art de la mise en scène.»

Et le virtuel dans tout cela?

«Il s’adresse à tout le monde, mais surtout aux jeunes, qu’il faut ramener au spectacle de la représentation en utilisant les formes qu’ils connaissent, auxquelles ils peuvent s’identifier. Les jeux vidéo, les iPhones, les simples cellulaires et autres moyens sophistiqués ne sont là par hasard. Les joindre, atteindre leurs buts, comprendre leurs démarches, aussi incertaines qu’elles puissent parfois paraître est en quelque sorte un acte de contrition, non pas confessionnel, mais comme un rituel séculier qui fait face au monde où nous vivons

À voir le film ou encore mieux cette expérience virtuelle, nous éprouvons une sensation éthérée de désorientation, mais quasi magique, inventée, hors du monde. On porte un casque, mais on l’oublie rapidement, inconsciemment, car on est vite submergé par l’univers que crée Lemieux. Mais on a déjà trop dit. Faire comprendre au spectateur à quoi il doit s’attendre ou encore mieux le découvrir par soi en donnant le moins de détails possibles. Transcender le moment, subjuguer le désir, séduire le rapport entre le regard et sa représentation.

Et la création elle-même. Sa genèse?

«Nous avons préparé tout cela en pleine pandémie, autant pour les répétitions que pour les tournages. Inutiles de vous rappeler les règles sanitaires. Elles ont toutes été suivies, et, bizarrement, nous n’avons eu de problèmes de retards liés à la production. Le personnage de Dédale a été filmé par téléphone (cellulaire, bien sûr), quelque part à la campagne où je me trouvais pendant la pandémie. J’ai envoye le bout filmé à Montréal et c’est ce que vous verrez dans le VR.»

Il faut dire qu’il s’agit de quelque chose de magique, d’immersif (pour ne pas répéter le cliché) quelque chose qui s’incruste dans notre cerveau, qui nous fait oublier le sens de l’espace et du temps, quelque chose d’aérien et de purement surréaliste, encore mieux, qui nous conduit dans un univers sidéral où le rêve, fait de plusieurs éléments, finit en une seule unité. Moment temporel, mais qui, paradoxalement, n’a pas de temps. Et Lemieux d’ajouter : «Olivier Kemeid est impliqué dans la production. Il voulait, quant à lui,  explorer cette relation entre Dédale et Icare. Une création, c’est vivant, ça part mais ça fait des changements. Une création c’est la vie, mais si on n’écoute pas la vie, on rate quelque chose.»

Le défi, c’est de conserver constamment une certaine substance et éviter la confusion des intentions, un des périls de notre époque. Michel Lemieux l’a très bien compris.

Et Lemieux de dire que pour le tournage, le rôle du jeune Icare est tenu par un pré-adolescent. C’est dans la scène du TNM qu’on a filmé sa course, sans fond virtuel, ni sophistications techniques bien entendu. Le résultat finale est foudroyant.

Il insiste pour dire que «En création, impossible de tout prévoir. On cherche néanmoins la verité; elle se trouve dans les choses simples. Dans la virtualité, il faut aller vers cette verité, presque réinventée et là où se trouve le cœur de l’émerveillement.»

Que peut-on retenir de cette expérience visuelle? Un projet libre dans son approche, démocratique car il se sert des éléments techniques d’aujourd’hui que la plupart des gens utilisent, même dans des territoires éloignés. Mais l’artiste, le vrai, est celui qui parvient à séparer le bon grain de l’ivraie. Le défi, c’est de conserver constamment une certaine substance et éviter la confusion des intentions, un des périls de notre époque. Michel Lemieux l’a très bien compris.

Icarus sera présenté au Festival du nouveau cinéma.

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