La beauté du monde

Une

œuvre

imposante

sur

la

préservation

de

la

mémoire

 

CRITIQUE.
[ Opéra ]

★★★★

texte
Élie Castiel
Au départ, l’idée de créer un drame lyrique moderne autour
du personnage de Jacques Jaujard, peu connu du grand
public, était une idée folle, capricieuse, pari risqué.
Comment éviter les pièges de la reconstitution ?
Quelles recherches effectuer afin de s’en tenir à la stricte
vérité ? Que conserver du produit de cette exploration ?

Pour Michel Marc Bouchard, une des figures de proue de la dramaturgie québécoise, un rendez-vous avec l’histoire. Une plume qui traverse le temps tout en conservant une sorte de distance insondable qui gère justement le pathos auquel on peut s’attendre.

Les mots, les paroles, le texte dans son ensemble, possèdent justement cette idée du poids, de la mesure, alors que dans l’esprit de l’auteur, il semble primordial de renoncer à toute tentative de mélodramatiser le propos ; La beauté du monde, si l’on en juge par le résultat, est un moment de théâtre clinique, chirurgical. Malgré les apparences, c’est justement sa froideur, l’espacement qu’il prend avec les événements qui confirment sa supériorité, son authentique originalité.

L’association que le dramaturge crée avec le compositeur Julien Bilodeau (dont on se souviendra de Another Brick in the Wall, du très controversé Roger Waters) est une de complicité, de partage entre la musique et le théâtre et où l’opéra s’immisce sans trop se manifester, à petits pas.

Damien Pass (Jacques Jaujard).
Tout le poids du monde.
Crédit : @ Vivien Gaumand

Avant tout, si on observe attentivement, la mise en scène de Florent Siaud s’ajuste au décor surréaliste de Romain Fabre, évoquant le travail de Dalí, Miró et autres grands de leur génération. L’opéra n’est pas habitué à ces univers. Avouons qu’une caractéristique du récit – les endroits cachés du Louvre – aide énormément Siaud, lui donnant la possibilité de créer son propre espace théâtral en prenant ses précautions, s’ajustant à toutes éventualités. Ce que l’on retient de son travail, c’est bel et bien ce refus de s’abandonner à la facilité, aux effets dramatiques surexposés. Et la musique

Allyson McHardy (Rose Valland).
Préserver en répertoriant
Crédit : @ Vivien Gaumand

de Julien Bilodeau, exerçant, elle, son effet magique, entre une certaine forme symphonique et les tons modérés de la musique contemporaine.

Une chose est certaine : les évènements liés à cette « Affaire du Louvre » s’ajustent à la vérité historique. Damien Pass incarne un Jaujard humaniste – je laisserai aux spécialistes de la voix se prononcer sur les qualités vocales, bien que les chanteuses et chanteurs jouent adroitement sur la tension et la clarté des mots  – un homme pris dans l’engrenage à « sauver » les œuvres nationales en même temps que les pièces de collection appartenant à des Juifs déportés dans les Camps.

Siaud se soumet volontairement à une direction d’acteurs et d’actrices bien strictes pour s’assurer que la théâtralité de l’œuvre soit respectée et que, surtout, le côté théâtral ressorte de cet opéra intentionnellement hybride.

L’Histoire de cette époque regorge de mille et une spoliations et autres expropriations, et le récit de Michel Marc Bouchard est un courageux exemple de plus.

Avec La beauté du monde, les créateurs signent une œuvre intemporelle bercée par les principes fondateurs de l’Humanisme conquérant.

FICHE ARTISTIQUE PARTIELLE

LA BEAUTÉ DU MONDE
Opéra en 5 parties
[ Prologue – 3 actes – Épilogue ]

Compositeur
Julien Bilodeau

Livret
Michel Marc Bouchard

Chef d’orchestre
Jean-Marie Zeitouni
[ Assisté de Hubert Tanguay-Labrosse ]

Mise en scène
Florent Siaud
[ Assisté de Natalie Van Parys ]

Distribution
Damien Pass (Jacques Jaujard)
France Bellemare (Esther), Émile Schneider (Jacob)
Rocco Rupolo (Alexandre Rosenberg), John Brancy (Franz Wolff-Metternich)
Allyson McHardy (Rose Valland), Isaiah Bell (Dr Bruno Lohse)
Matthew Dalen (Hemann Göring), Layla Claire (Jeanne Boitel)

Scénograhie
Romain Fabre

Costumes
Sarah Balleux

Éclairages
Nicolas Descoteaux

Vidéos
Gaspard Philippe

Production
Opéra de Montréal

(avec le soutien de la SODEC)

Durée
2 h 47 min

[ Incluant 2 entractes ]

Diffusion @
Place des Arts
(Salle Wilfrid-Pelletier)
 Jusqu’au 27 novembre 2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]