La maladie de la mort

CRITIQUE | SCÈNE

Élie Castiel

★★★★

Un texte abscons, impénétrable, bouleversant, sortant de l’ordinaire, férocement théâtral dans le sens le plus pur du terme. Des mots qui cadrent parfaitement bien la pensée intime, plus d’Elle que de Lui. Il la dévisage. Elle, parfois derrière Lui, tente souvent des rapprochements furtifs, hésités, stériles. Elle décrit les rapports des corps avec un naturel poétique teinté de paroles qui transcendent le plaisir instinctif. Il essaie de comprendre la situation et se perd dans des explications sans importance.

Elle va l’aider à établir une conversation sensée entre deux individus, quelle que soit leurs différences de genre. Il résiste à la prouesse émerveillée de se libérer. Elle est libre. Il est pris par des habitudes sociétales qui se perdent dans la nuit des temps. Le sexe, dans sa forme la plus naturelle, n’est plus possible. Il va se mettre en fuite. De qui? De quoi?

Crédit photo @ Émilie Lapointe

Car dans cet anti-champ/contre champ qui évoque ardemment le cinéma – On pense au minimalisme d’un Resnais (L’année dernière à Marienbad), d’un Bergman sans doute (Scènes de la vie conjugale), et, incontournablement, à l’ascétisme frondeur de Bresson (Mouchette, sans doute – les rapports sociaux, même entre seulement deux individus (une Femme et un Homme), sont des champs magnétiques qui se retrouvent ultimement comprimés.

Le sexe en fuite

On pourrait attribuer à La maladie de la mort, œuvre emblématique de Duras, comme faisant partie d’un « théâtre de poche », non seulement par sa durée, chose évidente, mais particulièrement par sa mise en scène terriblement guidée, dont les indications consistent à se déplacer dans l’espace d’une chambre en évitant le face-à-face tout en le convoitant.

Le sexe, autant biologique qu’inné, tient à s’assumer, à être entier. Ces explications sur la pénétration deviennent alors une tentative de s’accommoder à l’autre, d’être l’autre, par juxtaposition. Logique mathématique sans doute?

Effectivement, La maladie de la mort est une pièce bien française, de son temps, existentielle, une époque où la littérature brille dans tous ses états, envahie d’un cartésianisme libérateur, certes, mais à la fois étrange et lumineux. De ces projets qui nous servent l’amour de la langue et des mots sur un plat d’argent. Pour ainsi mieux vivre.

Pour le Prospero, endroit de toutes les expérimentations, La maladie de la mort est sans doute la production la plus osée, non pas comme pouvez l’entendre, au sens populaire de la chose; au contraire, risquée, compromettante dans la mesure où elle oblige ou, encore mieux, somme l’auditoire à s’autopsychanalyser. C’est un essai analytique dans ses définitions aussi scientifiques que littéraires.

Et puis, deux immenses piliers du théâtre québécois : Sylvie Drapeau, tenant le gouvernail d’une embarcation en péril de couler. Simplement impériale. L’homme ou « il », faible, souffrant à sa façon de son impuissance affective (Elle lui demandera « Avez-vous déjà aimé une femme? »), ne participant pas (ou du moins tentant difficilement) à ce projet de réconciliation des âmes. Paul Savoie, pour ce rôle, convoque toutes ses années d’expérience.

Effectivement, La maladie de la mort demeure une pièce bien française, de son temps, existentielle, une époque où la littérature brille dans tous ses états, envahie d’un cartésianisme libérateur, certes, mais à la fois étrange et lumineux. De ces projets qui nous servent l’amour de la langue et des mots sur un plat d’argent. Pour ainsi mieux vivre.

[su_expand height= »0″ link_style= »button »]

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Marguerite Duras
Mise en scène
Martine Beaulne
Assistance à la mise en scène
Valery Drapeau
Scénographie
Richard Lacroix
Costumes
Mérédith Caron
Musique
Vincent Beaulne
Flûte alto
Marilène Provencher-Leduc
Collaboratrice au mouvement
Mélanie Demers
Distribution
Sylvie Drapeau
Paul Savoie
Production @
Groupe de la Veillée
en coproduction avec Le collectif d’artistes et Les immortels

Durée
50 min (environ)
[ Sans entracte ]

Représentations @
Prospero
Jusqu’au 15 février 2020

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

[/su_expand]