Laurent Cantet,
le sens du collectif

RECENSION.
[ Cinéma ]

★★★★

texte
Élie Castiel

Le discours

de « sa » méthode

Il n’appartient qu’à lui, c’est son propre procédé de travail. Laurant Cantet ou le cinéma des apparences et de tout ce que ces simulacres cachent comme accents de vérité. Comme le souligne intelligemment Marilou Duponchel dans son essai d’introduction à Laurent Cantet, le sens du collectif, « Dans Arthur Rambo, qui fait écho à l’affaire Mehdi Meklat, le jeune Karim D. … est à l’image d’une France qui se rêve en nation réconciliée, égalitaire, affectionnant les histoires d’ascension social, les itinéraires miraculeux de fils d’immigrés, banlieusards devenus fiertés de la nation, ou comme ici petit génie de la littérature. » (p. 13) Et pourtant, un portrait qui se brise en mille morceaux à la suite de messages sur Twitter qui puent la misogynie, l’antisémitisme et l’homophobie. Et, j’ajouterais, qu’actualité oblige (présidentielles en France), le discours ne demeure que plus fascinant.

   Belle leçon de réflexion qui pousse le spectateur le moindrement émotif à se questionner non seulement sur les libertés (extrêmes) acquises dans l’utilisation des réseaux sociaux, mais bien plus, à remettre en cause le politique et le social. L’essai de Duponchel magnifie avec brio l’ossature narrative complexe de Cantet.

Laurent Cantet valide un cinéma qui ne ressemble à aucun autre. L’insigne « auteur » confirme toute son exubérante et complexe modernité.

   Belle aussi la transition vers la deuxième partie qui donne la parole au principal intéressé par le biais d’une méthode efficace depuis toujours, l’entrevue. Et lorsque les questions, ici posées par Quentin Mével, s’inscrivent à l’intérieur de chaque œuvre proposée, force est de souligner le rapport intellectuel qui s’établit entre les deux « protagonistes » d’un face-à-face qui suit sa propre mise en scène ou plutôt « mise en paroles ». Un extraordinaire jeu de champs-contrechamps et de correspondances aussi enracinés dans le médium qu’il produit parfois des étincelles – Dans Entre les murs (2008), qui nous a vraiment marqués, Palme d’or à Cannes, une question : Les improvisations ont à nouveau participé à l’écriture du scénario?, certes, se terminant par un point d’interrogation, mais en fait absent puisque Mével ne pose pas vraiment la question, il établit plutôt un fait. Cela a à voir avec les nombreux ateliers proposés avant le « vrai » tournage – « Après quelques mois d’atelier, on avait des scènes filmées en improvisation suffisamment réussies qu’on a jointes au scénario lors du dépôt du dossier pour l’avance sur recettes. » (p. 89-90) Une méthode qu’établit Cantet : des bouts de chaque étape dans la production peuvent ainsi servir au montage final, mettant en valeur la notion même de « work in progress », comme si chaque film réalisé n’était en quelque sorte que la continuité du précédent. Non pas d’un point de vue thématique, mais dans ses aspects de fonctionnement.

Arthur Rambo, inédit à Montréal

   À l’improviste, le très beau Vers le sud (2005), le trajet, à Haïti, de trois femmes à la recherche de l’amour, se classe comme un film gigogne puisqu’il s’incruste sans crier gare à l’intérieur des ses longs métrages où règne le sociopolitique et la contestation – la frontalité du plan est signifiante – « Je pensais qu’on en disait plus avec des mots qu’avec une reconstitution de scène de sexe. Cette frontalité me plaît il n’y a pas d’échappatoire. » (p. 76) Suggérer, faire en sorte que les spectateurs utilisent ses neurones et contribuent activement à la réflexion.

Que dire de plus? L’ouvrage est parsemée de répliques qui définissent un certain cinéma « personnel » français du milieu des années 90 et se répercutant jusqu’à aujourd’hui, avec l’encore inédit à Montréal, Arthur Rambo (2021). En pratiquant « sa » propre méthode, sa trajectoire singulière, Laurent Cantet valide un cinéma qui ne ressemble à aucun autre. L’insigne « auteur » confirme toute son exubérante et complexe modernité.

Marilou Duponchel
Quentin Mévet
Laurent Cantet, le sens du collectif
(Collection « Face B » Essai et Entretien)

Levallois-Perret : Playlist Society, 2022
144 pages
[ Non illustré ]
ISBN : 979-1-0960-9849-1
Prix suggérés :  8,00 €  / 14,95 $

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