Le roman de Monsieur de Molière

Les

(in)aptitudes

de

la

vertu

 CRITIQUE.
[ Scène ]

 ★★★ ½

texte
Élie Castiel
Un désir, comme depuis quelque temps, de se dépasser, d’aller plus loin que d’habitude, de divertir à chaque mouvement, à chaque parole, à chaque intervention, comme si le public, sorti (même si ce n’est pas encore le cas) de la pandémie, demandait que les arts de la représentation (scène et encore plus cinéma) ne leur offre que le dépaysement exacerbé pour lui faire oublier coûte que coûte ses infortunes.

Le récit de Mikhaïl Boulgakov, sous la plume de Louis-Dominique Lavigne, subit non seulement une libre adaptation, certainement une nouvelle parure où l’auteur original ne serait que le simple observateur du monde de celui à qui il s’identifie, quitte à ce que son « temps d’antenne » soit réduit, au profit des scènes moliéresques où tous les caprices sont consentis, à la grande joie du public.

Une volonté de séduire coûte que coûte le Roi.
Crédit : Yves Renaud

Et pourtant, sous les traits de l’immense Jean-François Casabonne, dont on se souvient avec attachement de ses premières armes, il y a longtemps, son Boulgakov constitue l’un des plus beaux moments dans ce Roman de Monsieur de Molière. Casabonne oscille admirablement à travers les intentions de l’art d’interprétation, se fait discret, puis, face au public, profite de son temps d’allocution, sillonnant les diverses étapes de quelques parties d’une vie, autant celle de l’auteur des Précieuses ridicules que de la sienne, confrontant la censure des lois indécentes dans une Russie soviétique.

C’est dans cette perspective que cette adaptation devient une métaphore de notre monde actuel; plus encore qu’actuel, immédiat, comme si rien, absolument rien n’avait changé. Comme si la politique du pire était encore à venir, comme si la censure n’était pas seulement une anomalie dans toute démocratie qui se respecte, néanmoins une nouvelle norme sociale pour l’ordre et la sécurité du monde.

Boulgakov/Casabonne.
La création sortie
de l’imaginaire.

Crédit : Yves Renaud

Reste quand même un spectacle comme celles et ceux du TNM savent lfaire. La mise en scène de Lorraine Pintal, épaulée par un décor qui facilite adroitement les époques, est vive, colorée, enchanteresse. Ses acolytes comédiens ont compris ce qu’elle a voulu faire de l’adaptation de Lavigne et ne la déçoivent aucunement.

Nous assistons donc à une sorte de parcours des œuvres de Molière, incluant incidents survenus avant leur création – crises existentielles, intrigues amoureuses, jalousies. Et plus encore, ce rapport au Roi, à la Cour. Tradition française qui, même en temps actuels de la République, n’a pas perdu un seul cheveu.

Il nous reste alors la participation admirative de toutes les participantes et participants. Évitons la liste et tenons-nous en à celles et ceux qui ont su touché l’auteur de ces lignes : l’imbattable Jean Corneille, sous les traits d’un Jean Marchand possédé par son rôle; la galanterie playboyesque du tragédien Racine, permettant à Philippe Thibault-Denis de prouver que l’Homme de la ville peut être différent de celui de la Plume; où encore la faconde (faussement) perverse et calculée d’Armande Béjart, la fille de l’autre, là où Juliette Gosselin prouve une fois pour toutes qu’elle est promue à un riche avenir, autant sur scène qu’à l’écran. Rachel Gratton (Madeleine Béjart), sensationnelle, habitée par un personnage qui comprend les enjeux d’une vie de création qui n’admet pas ceux de la réalité prodigués par Molière – Éric Robidoux, ce Molière de scène aux milles visages, selon les circonstances. Parfois excessif, sans retenue. Dans l’intimité, montrant sa faiblesse avec une émouvante dignité face à un père exigeant (double jeu pour Jean Marchand) qui cède à accepter le choix de son fils.

Et personnellement, la gouaille imbattable et savoureuse de Benoît Drouin-Germain qui octroie à Jean de la Fontaine ce mélange de création instantanée et d’attitude morale (in)digne face à un monde qui sait plus où il va.

Et une fois n’est pas coutume, les artistes de la diversité s’installent confortablement, sûrement, pas vite.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Mikhaïl Boulgakov

Adaptation
Louis-Dominique Lavigne
Inspiré de
Zhizn’ gospodina de Mol’yera

Mise en scène
Lorraine Pintal

Assistance à la mise en scène
& Régie : Bethzaïda Thomas

Interprètes
Éric Robidoux
Jean-François Casabonne
Simon Beaulieu-Bulman,  Lyndz Dantiste
Sébastien Dodge, Benoît Drouin-Germain
Karine Gonthier-Hyndman, Juliette Gosselin
Rachel Gratton. Jorane
Brigitte Lafleur, Jean Marchand
Philippe Thibault-Denis, Sabri Attalah
Caroline Bouchard, Noémie O’Farrell

Éclairages
Martin Sirois

Costumes
Marc Senécal

Musique
Jorane

Production
Théâtre du Nouveau Monde

Durée
2 h 05 min

[ Sans entracte ]

Classement suggéré
Tout public

Diffusion & Billets
@ TNM
Jusqu’au 3 décembre  2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]