Le théorème d’Euclide (une polémique)

CRITIQUE

SCÈNE

Élie Castiel

★ ★ ★ ★

Déjà, en entrant dans le Studio du Monument-National, le concept de la pièce dont il est question se précise. Deux angles de 90º : un premier pour les spectateurs, l’autre qui représente la scène. Tous les deux en étage. L’espace traditionnel dramaturgique est en bas, comme s’il se perdait dans la nuit des temps, espace public, où tout peut arriver, tout peut se faire, se détruire ou se reconstruire. Un espace neutre et malgré tous les dangers, démocratique. Et deux écrans vidéo où les lieux de la scène difficiles à voir sont filmés. Cinéma et théâtre deviennent ainsi les complices souhaités de la représentation.

Les parallèles
tracés de l’abstrait

C’est donc la scénographe Nadine Jaafar qui impose d’entrée en jeu son périple fascinant. Une ville victime il y a que temps de la ! – on ne nommera pas les mots guerre ou conflit tout le long de la pièce, intentionnellement, comme si d’une certaine façon on pouvait se permettre de rêver à reconstruire les morceaux ; comme si ces mots étaient devenus tabou dans le langage des survivants.

Pierre-Alexis St-Georges (Photo @ Hugo Fréjabise)

Dans l’imaginaire fécond de l’auteur Hugo Fréjabise, Euclide – ici revêtu du nom de Kleis et devenu femme – rencontre Ptolémée, transformé en DJ pour la circonstance. Et d’autre personnages. Six comédiens et comédiennes jouant des rôles différents et qui n’ont aucun lien commun entre eux, mais qui, par un tour de stratégie d’écriture se retrouvent dans une finale d’un romantisme éclatant.

Et pourtant, le très beau texte de Fréjabise, renvoyant à des auteurs qui l’ont influencé, aux différentes formes d’écriture dont il s’est nourri, et bien entendu, ses études en authorship (on pourrait dire dramaturg, de l’allemand, nouveau concept sans doute) à l’ÉNT contribuent à l’éclosion d’une nouvelle façon de concevoir le texte, parfois source de tous les maux. Mais le jeune auteur persiste et signe un récit passionnant (dont on ne vous donnera pas les détails) pour parler de guerre, de conflits intérieurs, d’exil, d’existentialisme, de vengeance, de pardon et de rédemption, ces thèmes incontournables dans toutes les formes d’expression et peut-être surtout dans le domaine du théâtre. La tragédie grecque est omniprésente et Solène Paré, metteuse en scène professionnelle, en est totalement consciente dans les directives qu’elle émet aux protagonistes de cette histoire maintes fois racontées par les Anciens. La Famille, source de tous les Biens et tous les Maux.

Soyons indulgents envers les quelques à peine perceptibles hésitations dans le jeu. L’enthousiasme contagieux des interprètes est si prenant que nous sortons de la salle avec une délectation enivrante.  Et comment oublier le son ambiant de Gaspard Philippe qui donne un souffle ambiant extraordinaire sans pour autant s’imposer maladroitement. Une belle réussite que ce Théorème d’Euclide.

Mais Fréjabise déconstruit ces moments en les rendant actuels – utilisation de la langue, débits et rythmes dans la parole, champs/contrechamps entre les personnages. Un bémol (tout à fait personnel – le texte aurait gagné à être un peu plus court – certaines idées se répètent alors que les mots sont si puissants qu’il leur suffit d’une seule intervention pour saisir leur poids). Mais bon !

Euclide le DJ et Kleis, la productrice de musique, se rencontrent sous les traits d’une jeunesse actuelle qui vibre au diapason de leur époque. Le vieux monde, l’antique, et l’aujourd’hui ne se rencontrent pas concrètement, mais par le biais d’un concept littéraire et dramaturgique abstraits. Une condition entre l’auteur de ce Théorème d’Euclide (une polémique) et la metteuse en scène.

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Soyons indulgents envers les quelques à peine perceptibles hésitations dans le jeu. L’enthousiasme contagieux des interprètes est si prenant que nous sortons de la salle avec une délectation enivrante.  Et comment oublier le son ambiant de Gaspard Philippe qui donne un souffle ambiant extraordinaire sans pour autant s’imposer maladroitement. Une belle réussite que ce Théorème d’Euclide.

En répétition : Esther Duplessis, Janie Lapierre, Valérie Tellos et Jérémie Caron (Photo @ Hugo Fréjabise)

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION

Texte
Hugo Fréjabise

Mise en scène
Solène Paré

Assistance à la mise en scène
Félix-Antoine Gauthier

Scénographie
Nadine Jaafar

Assistée de
Mathilde Donnard

Costumes
Audrey Lee
Emma DuBois

Éclairages & Vidéo
Guillaume Lafontaine

Conception sonore
Gaspard Philippe

Interprètes
Pierre-Alexis St-Georges, Cédric Lavigne Larente
Janie Lapierre, Esther Duplessis
Valérie Tellos, Jérémie Caron

Production
École nationale de théâtre du Canada

Durée
1 h 40 min
[ Sans entracte ]

Représentations @
Monument-National
Jusqu’au 15 février 2020

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

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