Moby Doc

P R I M E U R
[ Numérique ]
En ligne
Vendredi 28 mai 2021

SUCCINCTEMENT
Rob Gordon Bralver et Moby collaborent étroitement dans ce portrait à la fois intime et surréaliste d’une des icônes de la scène pop des 30 dernières années.

CRITIQUE.

★★★★

texte
Élie Castiel

Un narcissisme salutaire pour

atteindre l’apaisement du nirvana

Non pas pour l’atteindre dans sa forme originelle, mais pour se réinventer, arriver à une entente tacite entre l’être et le néant, pour s’entendre finalement avec la « mort », dans les arts de la représentation souvent dans sa forme masculine puisqu’il s’agit d’un spectre sans visage, mais imitant les mouvements de l’humain.

Le temps qu’il reste.

Une des séquences les plus extraordinaires de cet essai documentaire de Rob Gordon Bralver, signataire, entre autres, de cinq courts métrages en format vidéo sur Moby, l’artiste pop, dont des extraits de chacun d’eux sont certainement repris dans cet étrange peinture entre le cinéma, la peinture et les arts visuels. Et proche aussi du cinéma traditionnel, notamment dans les brèves séquences entre Moby et sa psychanalyste, où la caméra, finalement, pendant quelques secondes, se rappellent du lien qui existe entre elle et le sujet filmé.

Et puis le reste du film qui convoque, narrativement et formellement, des mondes comme ceux de Lynch (apport viscéralement direct au film – sa présence, ses influences), Wenders dans sa plénitude de l’espace, Jodorowsky dans sa folie libératrice et tragique.

Les têtes parlantes sont conviées à échanger, mais le réalisateur se charge de les présenter autrement, sans trop d’efforts de sa part, moyennant quelques trucs de caméra, de mise en scène, de références brèves au cinéma expérimental. Elles ont pour nom Lynch qui a appris, en son temps, que Moby était ‘addicted to ‘Twin Peaks’, une complicité entre deux mondes. Il sera question de l’influence aussi de Badalamenti, que D. L. appelle ici Angelo, et qui a travaillé sur une trentaine d’épisodes de T. W. et quelques longs de Lynch.

Moby Doc ou la rencontre entre artistes de même acabit. Et non seulement Lynch, mais aussi Eric Harle, le gérant de Moby, qui se fait discret même dans ses résonnances bien senties sur le travail de l’artiste et, bien entendu, la présence en champ/contrechamp, autre exemple de fiction, avec Gary Baseman, célèbre cinéaste d’animation, illustrateur, parfaite coalition avec Moby, dont la grande partie de sa condition artistique relève de ses «médiocres » mais attachants dessins, reflets exutoires d’une jeunesse plutôt fragile vécue par des drames familiaux (alcool, bagarres entre les parents, rupture, mort tragique).

Sans père, il se débrouille et atteint les sommets (inutile de vous raconter ces détails comme on trouve souvent dans des critiques de films nous donnant l’impression qu’il ne reste plus rien à découvrir) du succès en un temps quasi record. Un disque, une tune, des publics qui s’affolent devant la nouveauté. Les hôtels, les baises, les clubs de strip-tease. Bon, vous connaissez le reste.

Moby Doc ou, comme une grande partie de l’Amérique, l’éternel adolescent ou encore le refus absolu de la finitude. Bouleversant, atteint d’une touchante tristesse et sensible humanité.

Et soudain, des temps morts qu’il ne laisse pas s’éterniser. Comme chez tous ceux qui ont réussi, le hasard, les coïncidences, croire en ceux qui croient en vous. Tout le reste, c’est une question de mathématique de la vie. Ou l’est-ce vraiment? La chance aussi et bien entendu, le talent. Il en a à revendre. Un charisme presque christique.

Mais la mise en scène de Bralver, c’est aussi le plan en ce qui ressemble à du 70 mm, pour présenter le grandiose, le spectaculaire, le show, ce qui provoque le délire chez les fans, les spectateurs et l’assistance. Voire même chez l’artiste. Réalisant du même coup qu’en atteignant la célébrité, c’est déjà une preuve de réussite. Mais dans la tête du cinéaste, une certaine peinture de l’Amérique, notamment celle de l’après-guerre du Vietnam où atteindre la célébrité et un certain statut social sont les principaux mécanismes de survie dans un monde qui ne cesse de se réinventer, quitte à faire d’énormes erreurs.

Le succès pour vivre.

Quant à la musique, est-ce essentiel qu’il s’agit de techno, house, punk et autres succédanés de la culture pop d’une époque, de deux ou trois décennies. Succès locaux, mais aussi à l’étrange alors que l’Amérique, grâce aussi à la mondialisation, génère un engouement considérable dans le monde. Il faut savoir comment l’observer dans le film; par petites doses, succinctement, sans trop d’évidences.

Un plan désertique ou au centre, Moby apparaît debout, dans un soleil de plomb, le montre plus grand que l’espace restreint qu’il occupe. Aucun doute, Rob Gordon Bralver, qui signe le scénario avec la proche collaboration de l’artiste lui-même, réalise ici un film stellaire, hors du temps, où réalité et rapport à l’univers se chevauchent, s’enchevêtrent et laissent à cette épopée narcissique atteindre librement le nirvana.

Aujourd’hui, c’est le mouvement végétalien qui interpelle Moby. Quant à ses conquêtes, elles sont féminines, mais moindre si on se fie à ses propos, même si dans nos recherches un peu partout dans le Net, on laisse croire, du moins en apparence…

Et pour les inconditionnels de Moby, des titres comme Going Wrong, Stella Maris, The Violent Beat It Away, Para, Hymn; elles parlent toutes de soi le plus souvent et la foule se reconnaît. L’individualisme dans toute son apogée.

Moby Doc ou, comme une grande partie de l’Amérique, l’éternel adolescent ou encore le refus absolu de la finitude. Bouleversant, atteint d’une touchante tristesse et sensible humanité.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Rob Gordon Bralver

Scénario
Rob Gordon Bralver
Moby

Direction photo
Nathan Haugaard

Musique
Moby

Genre(s)
Essai documentaire

Origine(s)
États-Unis

Année : 2021 – Durée : 1 h 32 min

Langue(s)
V.o. : anglais
Moby Doc

Dist. [ Contact ] @
Eye Steel Film
[ Films We Like ]

Classement (suggéré)
Tous publics

Diffusion @
Cinéma du Parc

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]