Moon, 66 Questions:
A Film About Love, Movement, Flow (and the Lack of Them)

BERLINALE 2021.
[ Inédit ]

Une idée sur Jacqueline Lentzou

SUCCINCTEMENT
En France depuis quelques années, Artémis retourne en Grèce pour s’occuper de son père, malade. Séjour au cours duquel elle va découvrir un lourd secret le concernant.

CRITIQUE.

★★★★

texte
Élie Castiel

   Est-ce un hasard si la principale protagoniste du premier long métrage de Jacqueline Lentzou, après quelques courts, se prénomme Artémis, comme la déesse grecque de la chasse, des éléments de la nature sauvage et de la chasteté, en plus d’être la protectrice des filles et des jeunes femmes?  Et puis encore, comment interpréter le titre du film en langue originale, Sélíni 66 Questions (le nom, en grec, de Séléné, la déesse mythologique de la lune, suivi d’un chiffre universel mais non pour moins significatif, et puis un mot anglais ou français). Autant de référents qui s’offrent aussi bien aux spectateurs qu’aux critiques, essayant de saisir le sens de ce récit un tant soit peu diaphane, non pas dans sa couleur, mais dans son interprétation volontairement casse-gueule; un récit, pour simplifier les choses, sur l’émergence d’une nouvelle identité et du rapport à l’autre par le biais de la découverte d’un secret.

La part indéfectible des vivants

Mais quel secret? À moins qu’il ne s’agisse, dans mon cas, d’une erreur d’inattention (même si j’ai vu à deux reprises la séquence clé de cette révélation), il n’est pas certain de la nature réelle de cette énigme. Certes, l’individu en question a mené une double vie. Mais avec qui? Un homme, une femme?

Le rapport à l’autre par le biais de la découverte d’un secret.

Après mûre réflexion, nous sommes prêts à évacuer cette question. Car tout tourne autour d’Artémis, plus protectrice que déesse de Paris (autre prénom de la mythologie grecque), son père, en chaise roulante, atteint d’un mal incurable.

Le premier long de Jacqueline Lentzou reste notamment dans la première partie, intentionnellement désinvolte, refusant à tout prix la narration classique, statuant des paramètres de lecture inusités, traitant l’esthétique de l’image avec un soin particulier, tous des éléments de lecture qui évoquent, d’une certaine façon, le cinéma de Yorgos Lanthimos, en particulier en ce qui a trait à Canine (Kinódontas), un bel exemple de mise en scène éclatée qui marque un nouveau tournant dans le nouveau cinéma grec constitué de jeunes cinéastes férus d’europanéité. C’est clair, avec Lanthimos, le cinéma grec entre symboliquement dans l’UE culturelle sans crier gare. Impossible de rebrousser chemin. Et Lentzou en est consciente, prête à se tailler un chemin qu’elle semble avoir trouvé. Son parcours est aussi brillant, sincère que hautement réfléchi. On peut comprendre, en période de crise économique la coproduction avec la France, terre des co-expérimentations cinématographiques avec d’autres pays qui lui a fait confiance.

Même si Moon, 66 questions (on se demande, pourquoi pas Lune, 66 questions – conséquence sans doute du phénomène de la mondialisation où la lingua franca, cette langue véhiculaire, demeure, à tort, l’anglais) insiste sur le titre anglo-saxon, force est de souligner le caractère fondamentalement hellénique de la production. Mais bon, les vertus et les faiblesse de la mondialisation règnent quels que soient nos points de vue.

Tout compte fait, Moon, 66 Questions est un premier long métrage abouti avec ferveur, sens de l’imaginaire et surtout d’un rapport étanche, concret et intellectuel avec les images en mouvement, celui d’une jeune cinéaste grecque consciente de son époque.

Sofia Kokkali.

Dans ses notes de production, la réalisatrice rappelle que pour elle « les films sont comme des rêves, pas ceux que l’on fait, mais plutôt ceux qu’on a faits. Sombres, mémorables, tendres, intimes, privés, étonnants, ouverts à toutes les possibilités, absurdes… ».

Belle déclaration qui explique la trajectoire du film, chemin de traverse qui n’évite cependant pas ce  tourbillon d’incertitudes desquelles Artémis doit se libérer; ensuite, une révélation, une sorte d’épiphanie séculaire dont la conclusion n’est pas de l’ordre du religieux, mais au contraire, de la prise en charge de ses propres émotions. Et somme toute, également d’un rapport au pardon et à la volonté de continuer à vivre, et pas simplement exister.

Bien entendu, même si ce n’est pas dans l’habitude pour ce genre de films, on ne peut passer sous silence la performance extraordinaire de Sofia Kokkali, entière, maniant les différents registres du jeu d’interprétation avec une dextérité sentie. Nous l’avions d’ailleurs remarquée dans le beau La petite Angleterre (Little England / Mikrá Anglía), 2013, du vétéran Pandelís Voúlgaris. Passant d’un personage intime à l’autre sans se soucier de la caméra; elle, matériel technique attentif à ses moindres gestes. Intimité du plan qu’elle partage avec Lazaros Georgakopoulos (Paris), beau et charismatique même dans son incapacité.

Tout compte fait, Moon, 66 Questions est un premier long métrage abouti avec ferveur, sens de l’imaginaire et surtout d’un rapport étanche, concret et intellectuel avec les images en mouvement, celui d’une jeune cinéaste grecque consciente de son époque. Entre le plausible du rêve et les contingences de la réalité. Une thérapie existentielle pour identifier les vivants, quelle que soit leur condition.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE

Réalisation
Jacqueline Lentzou

Scénario
Jacqueline Lentzou

Direction photo
Konstantinos Koukoulios

Montage
Smaro Papaevangelou

Son
Leandros Ntouris

Musique
Delphine Malaussena

Jacqueline Lentzou.

Genre(s)
Drame

Origine(s)
Grèce / France

Année : 2021 – Durée : 1 h 48 min

Langue(s)
V.o. : grec ; s.-t.a.
Sélíni 66 Questions

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Classement suggéré
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