Paris au temps du postimpressionnisme : Signac et les indépendants

EXPOSITION
texte
Luc Chaput

Théo Van Rysselberghe (1862-1926), Paul Signac en yachtman, 1896, huile sur toile. Collection particulière

Un homme, portant casquette de marin est assis à la barre de son petit voilier. C’est Paul Signac, héros de cette très belle exposition du MBAM (Musée des Beaux-Arts de Montréal) et qui ouvre avec trois mois de retard en raison de la pandémie. Ce portrait de Signac en action est dans la première salle et est l’œuvre de son confrère et ami belge Théo Van Rysselberghe. Ces deux personnages sont des éléments majeurs de deux groupes d’artistes, la Société des artistes indépendants pour Paul et les Vingt ou XX pour Théo. Signac et ses collègues français ont mis sur pied ce Salon des Indépendants pour contrer le conservatisme ambiant et en ôtant les jurys et les prix de faciliter la diffusion d’une peinture différente, laissant le soin au public et aux critiques d’apprécier l’œuvre à sa juste valeur, bien entendu soumise à l’aune du temps. C’est ainsi que le critique Félix Fénéon donna écho aux manifestations de ce mouvement qu’il appela néo-impressionnisme en 1886. Il le fit dans des articles voisins d’autres où il faisait découvrir Verlaine ou Proust et pour ce travail d’exploration, il eut droit des portraits par plusieurs de ces peintres dont Signac et Félix Vallotton.

De l’individu et du groupe

Maurice Denis (1870-1943), La Cuisinière, 1893, huile sur toile. Collection particulière

L’exposition dont les commissaires sont Gilles Genty et Mary-Dailey Desmarais permet un cheminement historique très fourni dans le Paris de la Belle Époque entre 1870 et la Première Guerre mondiale. Signac et son ami Georges Seurat mettent sur pied la technique du pointillisme ou divisionnisme avec ses petites touches de couleurs complémentaires1 qui suscitent le mélange optique chez le spectateur. En lien avec les découvertes scientifiques du temps par Michel Eugène Chevreul et autres Ogden Rood, Seurat et Signac ouvrent une nouvelle voie en opposition avec les impressionnistes praticiens de la peinture sur chevalet à l’extérieur et en larges touches. Les études préparatoires in situ de Signac sont ainsi continuées et muées en tableau en atelier où l’effet voulu est déployé jusqu’à un résultat final qui peut être sublime comme entre autres Juan les Pins ou Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte de Seurat2. En 1899, Paul Signac publie « D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme » qu’il dédie à la mémoire de son ami mort trop tôt, replaçant ainsi leur mouvement dans l’histoire de la peinture depuis Delacroix dont le journal est publié à cette époque3.

Signac, sur son bateau Olympia, aborde aussi des rivages plus ou moins lointains et les représente dans des marines, peintures ou aquarelles qui accompagnent pour un temps dans ce musée des vues de campagnes ou de lieux industriels de Camille Pissarro… ou Van Rysselberghe.

Dans ce Paris en pleine mutation qui accueille l’exposition de 1889 où trône la Tour Eiffel, ces peintres, comme leurs collègues écrivains, rendent compte de cette métropole de plus en plus industrialisée dans certains quartiers. Maximilien Luce fait état en pleine lumière du percement de la large Rue Réaumur. Dans Quai de l’école, Il témoigne de la vie trépidante, par de petites touches de lumière, dans des bleus et des noirs profonds où se meuvent les piétons et les véhicules qui envahissent le centre de Paris le soir. Théophile Alexandre Steinlen, quant à lui comme ses confrères Toulouse-Lautrec et Mucha, donne ses lettres de noblesse à l’affiche qui deviennent ainsi des œuvres d’art éphémères visibles de la rue. Ceci est d’ailleurs le titre d’une immense composition (2 mètres par 3) dans laquelle les personnages, tous de profil, de taille similaire et de grandeur nature, se retrouvent côte à côte dans un croquis aux couleurs vives d’une vie parisienne frémissante où les classes sociales se croisent et se côtoient. Signac, sur son bateau Olympia, aborde aussi des rivages plus ou moins lointains et les représente dans des marines, peintures ou aquarelles qui accompagnent pour un temps dans ce musée des vues de campagnes ou de lieux industriels de Camille Pissarro, Luce ou Van Rysselberghe.

Maximilien Luce (1858-1941), L’Aciérie, 1899, huile sur toile. Collection particulière

Le salon est donc l’endroit où des œuvres différentes dans le sujet, la forme ou la facture sont donc présentées côte à côte, Cette confrontation suscite de nouvelles avenues de recherche que sont les Nabis de Maurice Denis et Paul Sérusier ou les pastels symbolistes d’Odilon Redon. Par son ampleur encyclopédique, cette exposition de 500 œuvres qui, sauf deux, viennent de la collection d’un passionné européen anonyme, ami de la directrice Nathalie Bondil, permettra, il faut l’espérer, à de nombreux visiteurs d’ici novembre, de mieux comprendre l’importance de ces mouvements de la Belle Époque et d’apprécier les divers chemins parcourus dans cette quête du temps de l’harmonie.

Paul Signac (1863-1935), Juan-les-Pins. Soir (première version), 1914, huile sur toile. Collection particulière. Photo Maurice Aeschimann, Genève

1 Le mélange optique qui se produit par la perception de couleurs complémentaires dans le pointillisme est aussi celui suscité électroniquement par la présence combinée de mini-pastilles des trois couleurs primaires, bleu, rouge et vert dans les reproductions photogravées et dans le procédé de la télé.

2 Cette peinture est à l’Art Institute of Chicago.

3 Signac, Maurice Denis et d’autres collègues feront en sorte que l’atelier de Delacroix, place de Fürstenberg à Paris, soit conservé et devienne ultimement un musée.