Règlement de compte à Cattle Corner
Troisième et dernière partie

POUR VOTRE AGRÉMENT
The Great Train Robbery
(court métrage complet)

Analyse de la séquence d’ouverture de
IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST

texte
Mario Patry

Deux

ou trois

choses

que je sais d’elle…

   Après les préliminaires de la première partie consacrée à un bref survol de la revue de presse de l’époque, qui n’était pas toujours dithyrambique, malgré l’impression générale dégagée, nous avons pénétré dans le vif du sujet avec l’incipit qui débute ex abrupto en exposant la principale figure de rhétorique de l’ensemble du film avec la porte, et l’intrusion dans la structure dramatique de la séquence d’ouverture d’Il était une fois dans l’Ouest, avant de conclure par le duel final. Pour la troisième et dernière partie, après une introduction avec des considérations générales sur l’authenticité au cinéma, nous allons aborder l’historique de tournage, les spécificités technico-stylistiques de la mise en scène, de la composition de l’image et du montage, à même la description de la scène générique dans son intégralité, les douze plans retranchés de la  version d’exploitation italienne du 21 décembre 1968, à Rome, ainsi que les particularités de la bande sonore et de la musique. Nous conclurons sur la notion de la porte chez John Ford et Sergio Leone.

Jennifer Connelly sur le plateau de tournage de
Il était une fois en Amérique.
Crédit : Angelo Novi

«On s’est moqué autant comme autant du
‘spaghetti western’. On ne cesse aussi
de répéter que le western se meurt.
Et pourtant, quiconque met les pieds au
Capitol1 et regarde ne serait-ce que cinq
minutes «Once upon a time in the West»
ne peut rester indifférent à la beauté de ce film.
Le cinéma de Sergio Leone est une musique pour
l’œil. La virtuosité dont il fait preuve,
sa connaissance de l’Ouest, son sérieux tout comme
l’amour qu’il éprouve visiblement pour le cinéma
le classent dans un monde à part. Sergio Leone
n’est pas un cinéaste comme les autres.»

Luc Perreault,
La Presse, 6 septembre 1969
85e année, nº 207, p. 35

Pour paraphraser Gaston Bachelard, «il y a si loin du film exploité au film vu, si loin du film vu au film compris, assimilé et retenu2 C’est la principale leçon de cinéma qui se dégage de l’analyse exhaustive de la séquence d’ouverture du film, sorti en anglais au théâtre Capitol à Montréal, le 26 août 1969, dans une version charcutée de dix minutes, afin d’offrir une séance supplémentaire par jour pour vendre plus de popcorn… On pourrait ajouter «il y a si loin entre le film réalisé et le film exploité…» Mais la séquence d’ouverture y demeure intacte, fort heureusement. Si j’insiste tant sur ce film qui est un chef-d’œuvre absolu et à l’abri des anachronismes nombreux et fréquents au cinéma, y compris dans les westerns.

Même Leone n’est pas irréprochable ni infaillible, lui qui a introduit la prohibition de l’alcool dans l’État de New York en 1932 et 1933 pour la dernière partie de sa «trilogie du temps» avec Il était une fois en Amérique /Once Upon a Time in America/ C’era una volta in America (20 mai 1984, Festival de Cannes en primeur mondiale). Or, «en 1923, l’État de New York abrogea la loi (Volstead) sur son territoire, et dans d’autres grandes métropoles, les hommes politiques étaient presque ouvertement de connivence avec les fournisseurs3 Sergio Donati, le scénariste attitré de Leone avait bien essayé de le mettre en garde. «En 1967, j’ai commencé les premières recherches pour ce film. Je suis allé aux archives du New York Times pour respirer l’air des années 30 (…). J’ai confié mes perplexités à Leone : «Qu’est-ce qu’on sait, nous, de l’East Side  juif?» C’est comme si un metteur en scène américain racontait l’histoire de Trastevere des années 30. Il y a des précédents dans Le Secret de Santa Vittoria4 ou de l’épisode sicilien du Parrain5, ou tout semble absolument faux. Les risques sont énormes. Leone, au moins, aurait pu prendre un art director américain.

J’ai lu le scénario. Il y a une grande naïveté. Un gangster qui disparaît de Chicago en 1933 se retire dans une ville de province en faisant disparaître toute trace de lui et réapparaît à New York vingt ans après. C’était possible en 1833, dans l’Ouest, mais pas en 1933 avec le F.B.I.»6 Sergio Leone, il faut le savoir, cumule toujours dans ses films le chapeau de réalisateur et celui de Directeur artistique. Mais, cette fois-ci, la négligence de recourir à un «technical advisor» (conseiller technique) lui a été fatale. Seuls, les épisodes de l’enfance sont authentiques et tirés du roman The Hoods (Les hottes) de Hersch Goldberg de son vrai nom, rebaptisé Harry Gray, publié aux États-Unis en mai 1952 et traduit en italien en 1966 sous le titre Mano armata (À main armée). En fait, le seul détail qui nous semble vraiment authentique, réside dans le disque plat 78 tours de dix pouces sur lequel danse Deborah Gelly (Jennifer Connelly)  du compositeur, clarinettiste et critique musical, José Maria LaCalle Garcia, dit Joe LaCalle, né le 17 novembre 1859 à Cadix, en Espagne, et décédé le 11 juin 1937, à Brooklyn, New York, État homonyme, États-Unis. Il a émigré en Amérique en 1884 depuis la Havane, Cuba. La date du copyright d’Amapola («Coquelicot») remonte au 14 septembre 1920 et le premier enregistrement sur l’étiquette Columbia Graphophone Company, New York, United States date de février 1923, en si bémol majeur dans le genre musical de rumba cubanas par la cubaine Orquestra Francesca d’A. Moreno. Le disque valait cinquante sous, soit l’entrée dans un cinéma. Cette mélodie qui sert de leitmotiv insuffle un ton d’alacrité dans une œuvre onirique et ténébreuse à souhait.

La prisonnière du désert (The Searchers).
Les ennuis commencent à l’extérieur.

Même le Victrola à pavillon chromé rutilant était décrit comme plutôt ancien dans le roman dont le premier  modèle remonte à septembre 1906, petit modèle de table vendu une dizaine de dollars à l’époque de son introduction sur le marché. Mais il se détaillait à quinze dollars en 1923. Victrola est devenu de loin le type de phonographe domestique le plus populaire et s’est vendu en grand nombre jusqu’à la fin des années 1920. RCA Victor a continué à commercialiser des tourne-disques sous le nom de Victrola jusqu’à la fin des années 1960. C’est triste à dire, mais pour reprendre une expression de François Truffaut, il s’agit d’un «beau grand film malade»! Le champion de l’anachronisme et de l’incongruité, par contre,  revient sans nul doute à Stanley Kubrick, avec son chef d’œuvre 2001 : l’Odyssée de l’espace / 2001 : A Space Odyssey, sorti le 6 avril 1968 à New York, un film qui distille l’ennui et propage le confusionnisme le plus aberrant.

«1968 – 2001 : A Space Odyssey (2001 : L’Odyssée de l’espace)

  1. – L’Aube de l’humanité :

Un groupe de singes végétariens, menacés par des voisins carnivores et luttant pour la possession d’un point d’eau, découvrent en se réveillant un monolithe noir mystérieux. L’un d’eux apprend à se servir d’un os comme arme et tue pour se procurer de la viande.

  1. – Quatre millions d’années plus tard, en 2001, le Dr. Heywood Floyd, va sur la lune pour enquêter sur la présence d’un monolithe noir qui émet des signaux vers Jupiter (…)7

Or, l’idée folklorique selon laquelle «l’homme descend du singe» a été abandonnée par les paléontologues et les préhistoriens au tournant de la seconde guerre mondiale… Mais dans le film de Kubrick, on remarque un chimpanzé projeter un os dans le ciel qui se transforme en vaisseau spatial Discovery One en route vers Jupiter. Contemporain de ce film, le livre à succès (vendu à plus de dix millions d’exemplaires et traduit dans plus de 23 langues) de Desmond Morris, Le Singe Nu8, a causé d’énormes dommages dans la pensée populaire. Desmond Morris, affirme d’entrée de jeu qu’il existe 193 espèces de singes sur la terre, alors que l’on en répertorie plus de 285! Ce concept a pour corollaire, un lieu commun assené quotidiennement dans les médias, c’est-à-dire, le fameux «chaînon manquant». Mais il n’y a pas de lien entre le singe et l’homme, qui sont des espèces séparées, distinctes l’une de l’autre, sans aucune parenté.

«La situation créée par la station verticale chez les hommes représente bien une étape sur la voie qui va du poisson à l’homo sapiens, mais elle n’implique nullement que le singe y joue un rôle de relais. La communauté des sources du singe et de l’homme est concevable, mais dès que la station verticale est établie, il n’y a plus de singe et donc pas de demi-homme.»9
Il faut savoir que l’on peut remonter l’origine de l’humanité aujourd’hui à plus de seize millions d’années… Plus loin l’auteur rajoute : «Du point de vue fonctionnel, l’ensemble des quadrumanes constitue un monde animal très distinct, aussi éloigné des quadrupèdes que des bipèdes, fondé sur un dispositif postural unique qui fait alterner la locomotion préhensive et la station assise plus ou moins redressée.»10

Ce qui prouve bien que «nos opinions et points de vue personnels ne sont le plus souvent que le réagencement ou la réactualisation d’éléments déjà présents dans la culture : les idées vraiment neuves sont rarissimes.»11 Le confusionnisme  propagé ainsi par les humoristes (qui ont remplacés les prêtres dans notre société au Québec) et les médias qui pratiquent une politique de désinformation continue, relèvent du fascisme qui est «la brutalité de l’ignorance» selon Federico Fellini. «Il y a en vérité quelque chose de pire que l’ignorance de l’Histoire. C’est un usage inconsidérée de celle-ci.»12 Un autre auteur de prestige ajoutait ceci : «La mémoire collective est ahistorique.»13

L’harmonica de Frank (Henry Fonda)

Sergio Leone pouvait aussi faire preuve d’un sens inné de très mauvais goût.
Par exemple, pour incarner les trois desperados de la séquence d’ouverture de son cinquième opus 14, il avait pressenti Clint Eastwood, Lee Van Cleef et Eli Wallach, le trio de vedettes de son dernier western, Le Bon, la brute et le truand (Rome, 23 décembre 1966). Van Cleef et Wallach acceptèrent le défi de cette dérision, mais heureusement la «blague» ne plut pas du tout à Eastwood, qui refusa catégoriquement. Il s’en expliqua ainsi à l’avance pour dissuader Leone de toute proposition éventuelle : «Au début, j’étais à peu près seul, puis on a été deux. Et maintenant, nous sommes trois! Je vais finir dans un détachement de cavalerie…» 15 déclara-t-il juste avant le tournage de ce dernier film. Ainsi, Leone s’est rabattu par dépit sur Woody Strode, Jack Elam et Al Mulloch, qui s’est suicidé par défenestration du septième étage de son Hôtel à Almeria, en manque de cocaïne, le 28 juillet 1968 au petit matin. Il est malheureusement décédé alors qu’on le transportait à l’Hôpital.

En ce qui concerne l’Homme à l’harmonica, Leone poursuit que «les américains m’ont proposé toutes leurs stars. Un jour, on m’annonce que Rock Hudson veut le rôle. Le lendemain, on me propose encore un autre nom. Un jour, un de mes associés me déclare que Warren Beatty16 souhaite interpréter l’homme à l’harmonica. Je lui ai dit : «Warren Beatty? Je vais te décrire la réaction de mon public si je prends Warren Beatty. Après avoir bien dîné, des gens se disent qu’ils vont aller voir un western de Leone. Ils entrent dans la salle. Ils s’installent dans les fauteuils. La lumière s’éteint et la longue scène du générique commence. Ils attendent en se donnant des coups de coude. Ils regardent la séquence avec la mouche. Ils s’amusent. Ils se laissent prendre par les images. Ils attendent. Exactement comme les trois tueurs dans la gare. Et voilà  que le train arrive… Alors, ils se mettent à frémir devant la fumée et en écoutant l’harmonica. Ils voient la silhouette de l’homme qui est descendu du train. Son chapeau cache son visage. Et voilà qu’il lève lentement la tête. Et c’est… Warren Beatty. Alors là, les spectateurs sursautent. Ils se regardent en disant : «Warren Beatty!  Mais qu’est-ce qu’il fout là, ce Warren Beatty? Il s’est trompé de film». J’ai regardé mon associé qui n’a plus insisté. Et je lui ai dit : Harmonica, c’est Bronson17. Une force de marbre. Un métis qui poursuit sa vengeance. Un homme qui sait attendre le temps nécessaire pour tuer l’individu responsable de la mort de son frère. En tant qu’Indien, il a déjà une haine pour l’homme blanc. Et il torturera Frank en lui rappelant le nom de toutes ses victimes. Mais il doit toujours avoir un air impassible. Il ne parle pas beaucoup. Il exprime sa douleur avec l’harmonica. Sa musique est une lamentation qui vient de loin. C’est viscéral. Et c’est attaché à une mémoire ancestrale».18

Il était une fois dans l’Ouest est passé à l’Histoire comme étant une œuvre ayant un casting remarquable. «Bien sûr, à Hollywood, on voulait me faire interner chez les fous. J’avais refusé toutes les stars et j’insistais pour avoir Bronson. On pensait que j’avais perdu la raison. Mais je suis entêté. Et je crois que la suite a démontré que j’étais loin d’être fou».19 La séquence d’ouverture d’Il était une fois dans l’Ouest est d’abord et avant tout, une séquence ou prime le «style», l’atmosphère (mood), le zeitgeist (l’esprit de l’époque) et la weltanschaung (vision du monde) d’un auteur qui affirme sa personnalité. «Dans Il était une fois dans l’Ouest, la réflexion prime puisque c’est un ballet des morts. Et il faut cette lenteur qui est aussi ma façon de faire, mon style… C’était moins développé dans les films avec Eastwood. Ils étaient plus courts ou leur sujet était différent. À tel point que si l’on voit Pour une poignée de dollars et Il était une fois dans l’Ouest, on a l’impression qu’ils sont faits par des metteurs en scène différents. Ils n’ont pas la même cadence. Cependant, il y avait longtemps que j’avais envie de donner ce rythme à un film. Faire que les mouvements de caméra soient comme des caresses. Tonino Delli Colli en était déconcerté. Il ne trouvait plus le système du Bon, la brute et le truand. Pourtant, moi, je savais que, là, j’avais atteint mon véritable rythme.

(Noël Simsolo) Est-ce pour cela que vous manifestez un tel choix d’écriture filmique dès le générique?

Oui, jouer sur l’attente. Et que peuvent faire trois hommes qui attendent le train dans le désert, sinon attendre de la façon la plus bête. L’un fait craquer ses doigts, et laisse paraître sa schizophrénie. Un autre est si paresseux qu’il préfère mettre son chapeau plutôt que de bouger pour éviter les gouttes d’eau qui lui tombent sur le front. Et il finit par boire l’eau recueillie sur le rebord de son couvre-chef… Le dernier se bat avec une mouche en attendant de se mesurer avec l’homme qui doit venir par le train… Le choix des acteurs était précis. Ce sont des archétypes classiques. J’ai pris Woody Strode à cause de John Ford. Et Jack Elam était un personnage présent dans tant de westerns… Nous avons tourné la scène pendant trois jours. Nous avons passé vingt-quatre heures pour le duel entre Elam et la mouche. Nous lui avons couvert la barbe avec du miel.»20 Selon la chronologie basé sur le plan de travail, signé par le superviseur de la production Ugo Tucci, tel que remis à la division cinéma au ministère du tourisme à Rome, et transmis à l’auteur et historien du cinéma Christopher Frayling le 5 janvier 1982, la séquence d’ouverture a été tournée entre le mardi 23 juillet au dimanche 29 juillet 1968 au Sud de La Calahorra, sur un embranchement de la ligne de chemin de fer qui relie la mine d’Alquife, au pied de la Sierra Nevada (au Sud) et avec une perspective sur la Sierra Gor-Baya (au Nord) près du village de La Calahorra.21

L’Homme à l’harmonica (Charles Bronson).
Une double altérité.

Nous vous proposons, en «primeur mondiale», dans son intégralité, la fameuse scène du générique d’Il était une fois dans l’Ouest, avec des commentaires personnels sur la mise en scène, la composition de l’image et du montage. Séquence nº I – «L’Uomo», — scène nº 2 — Gare intérieure et extérieure jour.

Planté sous le seuil arrière de la gare, Stony (Woody Strode) ajuste son feutre en tirant sur les bords. Hors champ, un piétinement de pas qui courent monte. Il observe avec attention…

…l’Indienne (Luana Strode) s’éloigner à toutes jambes, balayant la poussière de sa large jupe. Elle parle rapidement d’un ton furieux dans un dialecte que Stony ne comprend pas, puis après un moment d’hésitation, il s’élance seul vers l’extérieur sous un soleil écrasant. Il faut apprécier ici la référence explicite à la porte du début du chef d’œuvre de John Ford, La prisonnière du désert /The Searchers (13 mars 1956 aux États-Unis) qui a été boudé par le public et accueillit froidement par la critique.

Lorsque Knuckles (Al Mulloch) disparaît au fond de la salle d’attente, l’intérieur de la gare – qui n’est guère qu’une sorte de hangar – plonge dans un silence vétuste et se retrouve inimaginablement vide et lugubre malgré sa profusion d’ouvertures en claires-voies. Snaky (Jack Elam) écarte l’une des deux rocking chairs (placées d’un côté et de l’autre de la fenêtre guichet du télégraphe) qui résonne contre le mur extérieur puis s’y affale, dans un ressaut d’ombre. Il enfonce son chapeau pour faire la siesta.

Le premier plan de l’extérieur nous présente Stony qui entoure son cache-poussière autour du pommeau de la selle de son cheval. Il monte ensuite et marche à grandes enjambées sur la plate-forme du bois équarris longeant la voie. Il marche en écartant les pieds et les bras du pas balancé des cavaliers, suivit par un travelling d’accompagnement. L’air est lourd, le silence absolu hormis le claquement des talons de Stony sur le quai et le grincement de l’éolienne qui devient de plus en plus assourdissant.

Leone alterne ici avec un plan cadré de l’intérieur de la gare par la fenêtre-guichet donnant sur Snaky, assis en biais, à travers laquelle on aperçoit Stony (en arrière-champ) qui marche toujours, tendu en avançant avec une sorte d’énergie lucide, comme résolu à ne pas se laisser repousser au déséquilibre, à aucun prix.

…en direction du réservoir d’eau, dont le toit au cône trapu et la paroi de tôle ondulée, réverbèrent sous le soleil plombant et reflètent les pâles élimées de l’éolienne qui grince sinistrement en fouettant un ciel décoloré. Surmontant le tout comme une sentinelle géante, l’éolienne surplombe le dépôt ferroviaire enclos par une palissade délabrée au-delà duquel s’étend le lacis des rails au milieu du désert, ceinturé par une chaîne de montagnes (Sierra) émeraude se découpant sur la ligne d’horizon, dans un paysage intimement isolé, d’une plasticité paisible et grandiose. Le nom de Charles Bronson glisse sur le plan d’ensemble le plus spectaculaire de cette séquence à partir d’une Titan Chapman22 (establishing shot) qui fait nettement référence en signe d’hommage au chef d’œuvre de Fred Zinneman, Le train sifflera trois fois / High Noon23, sorti le 30 juillet 1952 aux États-Unis, avec l’éolienne dont le grincement offre quelque ressemblance avec le lamento de l’Homme à l’harmonica qu’il annonce.

Stony se retourne sous le réservoir d’eau, environné de l’ombre et se retourne pour faire face au débarcadère, le corps détendu, un coude appuyé à l’une des échasses. Il faut noter le contraste constant entre la lumière et l’ombre qui est recherchée par deux des trois desperados.

À l’autre extrémité du quai, Knuckles s’incline vers l’avant, les mains plaquées sur le bord de l’auge à bétail. Se plaçant légèrement de côté où il délimite l’un des coins d’un triangle dont Stony et Snaky (en arrière-champ) occupent les deux autres angles. Il y plonge sa main droite pour y propager des clapotis. Puis il relève la tête, jetant un regard anxieux sur…
…les rails luisants au soleil qui disparaissent à l’horizon.

Il jette son chapeau sur la banquette puis s’assoit de côté sur le bord de l’auge dans lequel il continu à remuer l’eau avec une folle mèche de cheveux blonds qui vole au vent. Sa main se fait creuse pour capter un peu de cette bienfaisante fraîcheur, puis écarte les doigts et laisse l’eau s’en échapper.

Un rapprochement dans la gestuelle avec Le train sifflera trois fois (High Noon).

Sous son chapeau, Snaky ne dort que d’un œil en se berçant doucement. Lorsque soudainement le télégraphe se met à crépiter, il interrompt le balancement de sa rocking chair. Cette fois-ci encore, Leone conserve Knuckles, le personnage précédent propulsé en arrière-champ.

Par l’ouverture du volet clos de bronze disjoint indiquant ironiquement : PRIVATE: STAY OUT, un visage épie le cliquetis et le timbre grêle du télégraphe qui résonne jusque dans la consigne. C’est le chef de gare (Antonio Palombi) qui tend l’oreille pour décoder l’alphabet morse. Sergio Leone s’offre le luxe de procurer aux spectateurs cinéphiles avertis, un clin d’œil au chef d’œuvre d’Orson Wells, Citizen Kane (5 septembre 1941, RKO) qui débute avec un panneau qui indique : NO TRESPASSING (Défense d’entrer). Allusion à l’aspect hermétique de la structure narrative de son propre film dont chacune des scènes de la seconde partie se divise en deux blocs qui se renvoient systématiquement, l’un envers l’autre, sans que personne ne puisse le soupçonner…

Snaky soulève son chapeau de son index, agacé par la pulsion indiscrète et intermittente du télégraphe. Il jette un regard mauvais sur…

…la touche de transmission passée devant la fenêtre guichet posée devant la table de réception.

Irrité, il serre les lèvres, l’air grave et l’œil soupçonneux.

D’une détente brusque et inattendue, il allonge le bras droit et arrache les fils du télégraphe qui devient muet.

Il pousse un soupir de soulagement puis se renfonce dans son fauteuil. Le silence retombe sur la gare. Le grincement de l’éolienne s’efface peu à peu avec le cri faible et lointain d’une buse, aussi futile qu’un jacassement de singe dans la jungle brésilienne. Le même cri a été repris dans le film de Luigi Comencini, Casanova, un adolescent à Venise (Infanzia, vocazione e prime esperienze di Giacomo Casanova, veneziano) sorti le 30 octobre 1969 à Rome, alors que Gian Carlo Santi, le premier assistant réalisateur de Sergio Leone, accompagna aussi l’un de ses maîtres. Il s’agit exactement du même cri aigu et guttural.

Accoudé à une poutre, Stony regarde le quai, le visage impassible, qu’il évente de son chapeau. Lorsqu’une goutte vient s’écraser sur son crâne glabre, il suspend son geste en fronçant légèrement les sourcils; il lève les yeux vers le haut.

L’humidité filtre à travers les planches moisies du citerne et à intervalles égaux, une goutte d’eau s’en détache. Woody Strode déclara plus tard qu’il n’avait jamais eu plus de trois gros plans dans Sergent Rutledge (Le sergent noir, 18 mai 1960 à New York) de John Ford ou il tenait le premier rôle, alors que dans le film de Leone, il a eu le privilège d’obtenir presque cinq minutes de gros plans!

Impassible, Stony préfère se recoiffer plutôt que de se mettre à l’abri de l’insulte d’une gouttière. Il acquiesce d’un secret sourire intérieur au son feutré que produisent les gouttes tombant sur le bord de son chapeau. À noter que le mouvement ou le son de l’eau tombant dans «la coupe» (…) étaient interprétés comme des signes. Ce mode de divination était connu dans l’Ancien Orient.24

Knuckles jette un coup d’œil derrière lui en direction du réservoir d’eau. La tristesse de la gare vide, qu’un chien glapissant, comme si quelque instinct le prévient de ce qui se prépare, est aussi profond que le silence. En proie à l’angoisse, il tire sur l’un de ses doigts jusqu’à faire craquer la jointure. Il est remarquable comment Leone garde systématiquement le personnage précédent qui est propulsé du gros dans un plan d’ensemble. Un chien errant traverse en glapissant, symbole traditionnel dans la Bible.25

Snaky désile les yeux, importuné par le bourdonnement clandestin d’une mouche. Après un voyage onduleux, elle se pose brusquement sur son menton immobile et commence à agiter ses butoirs. Snaky secoue la tête, il retrousse la lèvre supérieure et souffle sur sa joue. La mouche s’acharne et revient se fixer de nouveau et se met à courir. Exaspéré, Snaky lève les yeux vers le ciel et soupire. Il se concentre de toutes ses forces pour déloger l’insecte en poussant contre son menton un souffle intempestif, mais la mouche résiste obstinément.

Le 2001 de Kubrick. L’Homme descend-il vraiment du singe?

Les doigts extraordinairement tendus, Knuckles continue à se faire craquer les phalanges donnant une impression de méchanceté méticuleuse, toujours giflé par ses mèches.

Snaky examine l’insecte de son regard le plus sinistre. Il écarquille les yeux de manière à exagérer son strabisme divergeant de l’œil gauche. Rien n’y fait, l’insecte s’obstine et défi tous ses efforts.

Stony défi stoïquement l’attente décevante sous la protection d’une gouttière, les yeux à moitié endormi.

Une goutte d’eau hésitante tombe. Rien, le néant, seule l’éolienne dont le grincement monotone ne s’est jamais interrompu mais que l’on entend pas, sans que le spectateur ne s’en aperçoive.

L’eau s’accumule sur le rebord du chapeau de Stony.

Exaspéré, Snaky se convainc de chasser l’insecte du revers de la main d’un geste évasif, le suit du regard dans son vol irrégulier pour la perdre momentanément de vue.

Il le repère du coin de  l’œil sur le revers du dossier.

D’un autre angle, Snaky, du profil droit retient son souffle pour ne pas bouger puis jette un regard torve en  biais vers la mouche qui escalade le revers du dossier. Arès s’être furtivement assuré qu’il se trouvait à l’abri des regards indiscrets, il dégage légèrement son pistolet de l’étui et l’approche plus à la portée de la main.

(Insert) La mouche escalade le revers du dossier avec insouciance.

Snaky hésite un instant, regarde avec un air de doute le pistolet qu’il tient de la main droite, et avec une puissance et une précision d’expert…

…il fend l’air comme un escrimeur (raccord dans le mouvement) pour écraser un point très précis de la banquette la mouche dans le canon de son révolver qu’il obstrue avec le bout de son index gauche.

À l’issue d’une longue lutte, Snaky réussit à emprisonner la mouche qui le persécutait. Il se renverse dans son fauteuil pour écouter avec ravissement l’insecte se débattre désespérément. Il caresse avec reconnaissance l’arme qu’il tient par le canon, puis risque un coup d’oeil pour se rassurer.

Tandis qu’il se berce avec un sourire béat, le premier coup de sifflet d’une locomotive retentit dans le lointain (hors-champ), interrompt brusquement sa rêverie.

Sur le lacis des rails (plan moyen en contre-plongée en biais), le train fonce à toute allure, de façon terrifiante et passe de toute son envergure dans le fracas de ferraille gigantesque. On sent les roues vibrer et trépider sur les éclisses.

D’un geste calculé, Stony abaisse son couvre-chef pour boire l’eau rouillée accumulée sur son rebord.26 Il entend le sifflement qui s’éteint au loin au milieu de l’écho du martellement du train qui s’approche comme une menace qui se précise.

À regret, Snaky, libère sa proie. Il arbore un air de béatitude contemplative au souvenir de ce qu’il vient d’abandonner.

Leone nous offre ici une leçon de cinéma avec le montage des attractions. La nature (la mouche) est vulnérable face à la violence humaine (pistolet) mais cette dernière, est encore plus insignifiante devant la progression inexorable du capitalisme ferroviaire incarné par l’argent. L’anticapitalisme romantique dans le western est un thème cher à John Ford. En voici trois exemples fameux dans le film par le montage interséquentiel.

Jack Elam, une sorte de sous-fifre-mauvais-garçon.
L’arme est son plus proche ami.

Séquence nº II — «LE GRAND MASSACRE» — Scène nº 6 – Sweetwater, Extérieur jour.

L’un des acolytes (John Frederick) flanqué à gauche de Frank (Henry Fonda) questionne d’une voix égale : «Qu’est-ce qu’on fait avec le gosse, Frank?»27

Le sourire de Frank disparaît, son visage devient pâle et dur. Il tourne la tête par-dessus son épaule et jette vers son acolyte un regard  sombre.

Nanti d’une barbe qui lui dévore le visage, avec des yeux marron stupides, le comparse (Hayden) se mord la lèvre inférieure, comprenant trop tard sa faute.

Flegmatique, Frank détourne la tête en continuant à différer sa réponse. Il envoie un vigoureux jet de salive dans la poussière. Il pince les lèvres puis les  ouvre pour prononcer sur un ton glacial et implacable, en disant très vite : «Puisque tu m’as appelé par mon nom…»28
Hayden considère alternativement son chef et l’enfant, d’un air inquiet et méfiant.

Frank retire lentement de son fourreau (holster) un colt Walker 1873 d’argent qui scintille au soleil dont il défait le cran d’arrêt avec son pouce, produisant un cliquetis d’airain très sec, et le braque sur la poitrine de Timmy McBain (Enzo Santaniello).

Les yeux humides, Timmy fixe la gueule noire du révolver.
Frank lui répond par un sourire angélique alors qu’on entend un tintement de cloche vespérale (sur la trame sonore en musique filmographique) qui s’éteint au loin.
Timmy voit l’infime tressaillement du  pistolet, mais il n’entend rien puisqu’il est déjà mort lorsque la détonation assourdie atteint ses oreilles…(plan de onze photogrammes, moins d’une demie seconde).

SÉQUENCE Nº III – L’AMERICA DI JILL – Scène nº 7 – Flagstone, gare extérieure.

Un sifflet strident qui vrille les tympans retentit  d’outre-tombe et se propage pendant les quelques secondes qui s’écoulent avant de pourvoir fixer un point précis à l’horizon ; c’est la fuite des rails vue de la cabine d’une locomotive à vapeur en pleine vitesse, qui avance comme la fatalité mécanisée. Le feu ronfle dans la chaudière et la cheminée vomit des volutes de fumée dans le ciel. Il s’agit encore une fois du procédé de «montage des attractions» d’Eisenstein, alors que c’est le capitalisme ferroviaire qui tue Timmy McBain, et  l’arrivée du train en gare de Flagstone lui-même prend une connotation funeste par sa progression continue et inexorable vers l’Ouest. Plus loin, on peut lire : L’Ouest  subit un changement profond. À chaque voyage, le train de la ligne de Santa Fe, déverse un nouveau groupe d’immigrants qui affluent de partout de la Côte Est. Alfred Hitchcock n’avait jamais osé franchir ce «tabou» qui consiste à tuer un enfant au cinéma. « (…) il me semble, de faire mourir un enfant dans un film, on frôle l’abus de pouvoir au cinéma (…)».29

Photo de tournage – Il était une fois dans l’Ouest.
Source : Angelo Novi.

Henry Fonda a déclaré lors de son dernier passage au Johnny Carson Show, que la scène où il doit abattre de sang froid un enfant de dix ans, dans Il était une fois dans l’Ouest, a été le moment le plus difficile de sa carrière. D’ailleurs, lors de la sortie inaugurale aux États-Unis, les salles se vidaient après cette scène et explique en partie son échec au box-office américain. Transformer Henry Fonda en tueur sadique était blasphématoire aux yeux du public américain.30 Hitchcock admettait lui-même  qu’ «il arrive souvent que l’histoire soit compromise parce que la vedette ne peut être un vilain.»31 Quoiqu’il reconnaissait en même temps que «plus réussi est le méchant, plus réussi est le film, au  profit de : plus fort est le mal, plus acharnée sera la lutte et meilleure sera le film.»32 Mais Sergio Leone n’a pas été le premier réalisateur à partager ce lien de montage. Dans La Bataille du  Rail de René Clément, Prix spécial du jury et Prix de la mise en scène, Cannes, sorti le 27 février 1946, on peut lire, « (…) au crépitement des balles répond le long cri de deuil et de rage des locomotives.»33 «Il (Frank) a des vues politiques et financières. Quand il tue l’enfant, c’est le chemin de fer qui sort de la fumée de son arme. Dans l’Ouest d’alors, ce n’étaient pas les balles qui jaillissaient des armes. C’était le chemin de fer.»34 Mais Sergio Leone remonte aussi à la référence du premier western de l’Histoire du cinéma, avec The Greath Train Robbery, d’Edwin Stanton Porter, le 1er décembre 1903.

Dans une autre scène, Leone oppose encore une fois le capitalisme sauvage (incarné par Morton, Gabriele Ferzetti) à la violence des pionniers incarnée par Frank (Henry Fonda). Voir la Séquence nº VI – Morton – Scène nº 24, Wagon-salon, en marche (dans un décor assyro-babylonien), intérieur, midi.

Frank se penche vers l’avant pour tourner son fauteuil à pivot. Instantanément, il  se redresse, révolver en main…

… et braque l’arme en ramenant le cran d’arrêt vers l’arrière d’un cliquetis distinct.

Morton suspend son geste, en glissant un tiroir de son bureau. Sa main droite ne quitte pas le bord du tiroir largement entrouvert. Il contient des billets verts de cent dollars flambant neuf à l’effigie d’Abraham Lincoln qui sont soigneusement rassemblés en liasses bien rangées.

Il a un sourire muet de triomphe devant…

…le regard soupçonneux de Frank. Son visage est pâle et tendu.

Morton considère Frank et son arme avec un sourire dédaigneux et supérieur.

Il tire une liasse de billets de cent dollars…

…qu’il soupèse sous le nez ahuri de Frank et articule, d’une voix lente : «L’argent par exemple!»35

Debout, au pied du bureau de Morton, qui lui oppose ses billets ostensiblement, Frank le fixe de ses yeux bleus ahuris, l’air grave.

Morton lui explique avec calme et assurance : «Voyez-vous Frank, il existe des armes de toutes sortes…»36

Morton parle d’une voix très clame, basse mais pleine : «Mais la seule qui puisse arrêter la vôtre…, c’est celle-ci!»37 Explique-t-il en agitant la liasse de façon significative.

Morton laisse retomber la liasse et repousse le tiroir. La locomotive hurle soudainement et se met à ralentir sa marche. Frank, qui semble chanceler comme pour se maintenir en équilibre, demeure effaré, stupide d’étonnement, sans dire un mot.

Scène Nº 25 – Désert – Train Morton 471, extérieur, midi.

Curieusement, le train 471 ralentit sa marche au beau milieu du désert sans aucune gare en vue. La sirène retentit une seconde fois, puis multiplie ses appels. À noter que le train 71 siffle, alors celui de Morton rugit comme un navire à vapeur, comme pour mieux illustrer la puissance du capitalisme sauvage qu’il incarne.

Un groupe de sept cavaliers chevauchent à bride abattue sur la ligne d’horizon en soulevant un nuage de poussière. Cette fois encore, donc, Leone oppose la puissance «invincible» du capitalisme ferroviaire (représenté par la liasse de billets de cent dollars) face à la violence des pionniers de l’Ouest primitif incarné par le colt Walker 1873 de Frank. Le montage fait alterner un plan moyen de la locomotive avec son chasse-pierre qui rivalise avec les cowboys à cheval d’autrefois (Iron horse, cheval de fer/ cheval). Mais c’est dans l’avant dernière séquence du film, que le  propos de Leone devient on ne peut plus explicite et poignant.

Séquence Nº XIX – La mort de Morton – Scène 84, désert, Train Morton, extérieur, crépuscule.

Frank débouche sur la plate-forme arrière du Wagon Morton et referme la porte derrière lui. Il découvre…

…les cannes de son patron plantées dans le sable, les traces longues et incertaines de ses pieds, et quelque chose de couché au loin. C’est nul autre que Morton en bras de chemise qui rampe vers une flaque d’eau croupie par son urine, râlant comme une locomotive crevée.

Morton gesticule dans le sable comme un damné, vers la petite mare cloaque tremblotante qui réverbère une myriade d’étincelles de lumière intermittentes.  Il remue lentement comme si le moindre mouvement lui est extrêmement pénible et douloureux. Ses genoux, ses mains et son menton sont souillés d’une boue jaunâtre et gluante.

Photo de tournage – Il était une fois dans l’Ouest.
Source : Angelo Novi.

Morton tourne la tête vers Frank. Sur le col cervical blanc (une minerve), jette une  flamme éblouissante et blanche, sous le soleil qui le frappe.

Perclus de douleur, Morton lui lance un regard implorant levant une main boueuse dans les airs. Frank esquisse un geste pour l’abattre.

Morton retombe pesamment sur le côté avec le geste de dédain douloureux dans l’odeur fade de la boue.

Mû par un effort de volonté terrible, il s’appuie sur son front et ses bras, se traînant lentement sur le sol cruel.

Morton se tord de douleur. L’effort est si grand que la vue en est presque intolérable.

Frank demeure indécis et immobile. Morton se hisse, les bras tremblants, Sous son visage pâle et fatigué, les muscles de la bouche et du menton tressautent spasmodiquement.

Frank a un sourire de curiosité satisfaite.

Les bras, les épaules, la  bouche de Morton frémissent de douleur.

Frank crache méchamment, comme si quelque chose de sale s’est glissé sous sa langue. Puis, il se ravise. Il détend le cran d’arrêt de son colt et rengaine sans rien perdre du spectacle, l’observant souffrir avec indifférence.

Puis, il se retire, abandonnant Morton à son sort.

Celui-ci fournit un dernier effort désespéré et se hisse vers la flaque d’eau. La chaleur le pénètre peu à peu comme le wagon tout à l’heure, et de nouveau, l’obsession de la mer l’envahit comme la légère chaleur de délassement envahit ses jambes.

Une rumeur de locomotive emplit peu à peu le silence. Les hallucinations de Morton traduisent l’évolution délétère de sa tuberculose osseuse. Le clapotement des flots se change en martellement, puis reprend. Inlassablement, la vague déferle jusqu’au moment où la main reprend ses tâtonnements douloureux et brusquement le corps entier renonçant à sa tentative, rend l’esprit. Semblables à une mer bruyante, les éclats métalliques des poseurs de rails que nous entendons depuis longtemps dans le lointain, mais que nous avons jusque-là confondu pour les flots tranquilles qui viennent expirer sur la plage, augmentent considérablement, et le bruit métallique comme le fracas des vagues qui se dissipe.

Séquence Nº XX – L’Homme à l’harmonica – scène Nº 85, Ferme McBain, mesata, extérieur après-midi.

Un bruit de ferraille s’amplifie, chevauchant comme une vague étonnamment grosse se prolongeant en un cortège funèbre au milieu d’une voie de déblai ; la construction du dernier tronçon de rails progresse par l’activité d’une multitude d’hommes au travail :  coolies, noirs et blancs. Des charrettes et des boggies à bras passent et transportent hommes, outils et matériel. Malgré le martellement métallique, les commandements rauques du contremaître38 (Robert Spafford) arrivent par instant : «Posez!»39

Jill McBain (Claudia Cardinale).
Une sensualité romantique malgré tout.

Voici donc un capitaliste qui meurt, mais le capitalisme ferroviaire poursuit sa marche inexorable, dans un Ouest à bout de souffle. Autre sens, pour le capitaliste Morton (Gabriele Ferzetti), la réalité d’atteindre le Pacifique devient un rêve, aux dimensions d’une flaque d’eau croupie, alors que pour Jill McBain (Claudia Cardinale), la «putain au grand cœur» qui escroque un riche fermier Irlandais, le rêve de refaire sa vie dans l’Ouest en femme régénérée, devient réalité : la gare en modèle réduit s’érige sous ses yeux, déjà bordée par une amorce de voie ferrée qui avance par le travail forcené d’une équipe de cheminots. Ce rôle correspond à la plus belle période de la vie personnelle de l’actrice. Elle conserva toute sa vie un souvenir affectueux pour Sergio Leone qui lui a offert son plus beau rôle au cinéma.40 Voilà deux ou trois choses que je  sais d’elle… Retour à la scène générique d’ouverture.

Knuckles jette un regard vaguement inquiet vers ses amis, puis se retourne vers le train qui approche et dont la rumeur s’intensifie en ralentissant sa marche.

Stony actionnant le levier d’un double claquement de son shot gun que l’on arme et que l’on charge, ajoutant deux cartouches prises dans la cartouchière.
Puis il lève son regard anxieux en direction de la locomotive. Il écoute avec une angoisse grandissante le fracas des roues sur les éclisses qui s’assourdi de plus en plus.

Knuckles voit les wagons chargés d’ombres passer lentement devant lui. Ils le giflent d’air au passage. La vibration et la trépidation des roues sur la voie se répand comme un flot à l’approche de la gare, semblable à une vague qui déferle. (Suite et fin de la scène générique dans la partie II, voir infra).

Voici la liste des plans retranchés de la version d’exploitation italienne telle que sortie le 21 décembre 1968 à Rome, le 24 décembre 1968 à Turin et Milan, et plus tard dans le reste de la péninsule italique.

Séquence nº I — «L’Uomo» Scène nº 1 – Gare, intérieure , jour.

Crispé sur le seuil de la porte, Stony (Woody Strode) dévisse la tête en direction du Hall d’entrée (plan Nº 5).

Scène Nº 2 – Gare – intérieure et extérieure, jour.

Knuckles consulte un tableau noir accroché au mur indiquant : PRIVATE: STAY OUT, dodeline de la tête vers la cage du canari, puis se retourne et sort. (Plan 35). La suppression de ce plan est justifiée par le léger chevauchement temporel avec le plan précédent et par le double emploi qu’il fait avec la mention PRIVATE: STAY OUT du plan 47 du chef de gare enfermé dans la consigne  à bagages, dont on trouve d’ailleurs un écho au début de la deuxième partie avec la séquence de filature de la chinese laundry au car-parlor, Blanchisserie chinoise – scène 41 – au plan 710.

Prisonnier dans son fauteuil berçant à revers de dossier, Snaky se balance avec une lenteur résignée (plan 57).

(Insert). Une goutte d’eau tombe sous le citerne qui chuinte régulièrement. (Plan 59).

Stony regarde si fixement devant lui, que ses propres yeux prennent une expression immobile et fixe (plan 60, reprise de 58).

La lourde inquiétude suinte en gouttes d’eau sous la citerne. (Plan 65, reprise du 59).

Stony a le regard presque éteint. (Gros plan serré, 66).

Snaky imprime un mouvement  de balancement à son rocking chair d’un geste lent et mélancolique. (Plan 67, reprise du 64).

Les mains surgies et les doigts écartés, Knuckles se livre, seul, à une revue méthodique de ses phalanges. (Insert, phalanges de Knuckles, plan 71).

Le visage de Snaky est éclairé d’un sourire mauvais (plan 100, reprise du 90).

Ses doigts sont crispés sur son étui (holster) qu’il tapote rageusement. (Insert, plan 101). Ce plan a été réhabilité dans la version DVD et Blu ray américaine et italienne d’exploitation, sauf que dans la version originale italienne, le mixage diffère légèrement en nous faisant entendre le bruit du tapotement des doigts, alors que dans la version actuelle, nous entendons le bruit du train et de l’éolienne.

Snaky branle rageusement de la tête qui révèle l’impatiente contenue, puis fait signe à ses deux acolytes dispersés à la largeur du quai en vue de se retirer. Ce plan (102, suite et fin de 100) est plus long dans la version italienne. Sans les douze plans retranchés de la version d’exploitation commerciale italienne, la durée totale de la séquence d’ouverture s’établit à 13 minutes et 48 secondes. Ces plans retranchés nous offre une véritable leçon de cinéma et nous prouve que Leone ne se prend pas au sérieux et qu’il manifeste un grand sens de l’humour.

Par exemple, il place le monologue de comportement du  chef de la gare (Antonio Palombi) sous le même  pied d’égalité que les autres bruits de la bande sonore, le vent, l’éolienne, le pépiement du canari, etc. Lorsque Snaky (Jack Elam), la tête inclinée et les mains croisées derrière le dos, fait encore un pas (en contre plongée), le noble vieillard lève la main en le désignant de l’index, s’objectant d’une voix sèche et agitée : «Eh! Si vous voulez acheter un billet…»41

Il s’approche le regard suppliant en plongée. «…il faut faire le tour, euh…»42

The Great Train Robbery (1903)

En se retournant, Snaky lui dévoile une tête sinistre (en contre plongée), le visage râpeux et prognathe, affligé de strabisme divergent et inquiétant de l’œil gauche.

Dérouté par le mutisme hostile des intrus, le malheureux agent de station hésite, termine sa phrase par un geste confus (en plongée). «…par l’extérieur, devant le…euh!»43

Porté par un zèle naïf, le chef de gare s’affaire vers son casier, ajoutant à part soi : «Bah! Remarquez, ça peut toujours s’arranger…»44 (sur un ton embarrassé).

Stony se décoiffe en écoutant avec une affectueuse pitié et une tendresse indulgente les balbutiements du vieillard (old timer) (Plan de réaction) : hors champ : «…Mais alors à quoi ça sert que je sois chef de gare (d’une voix chevrotante et noblement indignée), si les gens entrent ici… »45

Knuckles, la gueule ravinée et osseux à la  barbe et à la tignasse blonde hirsute, taquine de rictus hostile le canari en cage qui affolé, saute du perchoir au juchoir en protestant par un excès de piaillements (plan de réaction). Hors champ : «…comme dans une foutu moulin»46 (ajoute-t-il presque tristement).

Knuckles approuve d’un sourire sardonique restant sourd aux doléances du chef de gare.
Avec une lenteur automatique, celui-ci détache trois billets de chemin de fer qu’il allonge vers Snaky avec un sourire largement fendu (en plongée) : « Ahhhh?»47 (d’un ton réticent).

Snaky considère alternativement le chef de gare et les billets avec une moue dédaigneuse et un regard chargé de mépris (en contre plongée).
Le vieil homme l’interroge d’un gloussement malicieux, la ruse dans le regard : «Ahhhh?…»48

D’un air contrarié, Snaky rafle les billets, les tourne et les retourne sur eux-mêmes. Chef de gare : «Vous me devez sept dollars!…»49 (insiste-il de sa voix grêle et fêlée).

Snaky écarte les doigts sur les billets au monogramme A&P qu’un coup de vent lui arrache de la main.

Le vieil homme hoche tristement la tête en observant les billets s’éparpiller.
Avant qu’il n’eut terminé d’en préciser les tarifs, les petits morceaux de papier désormais inutiles s’échappent comme des papillons facétieux. Chef de gare : «…et cinquante cents»50 (ajoute-il sur un ton ravalé). Il s’agit d’une scène burlesque dans le style chaplinien.

«Avant le tournage, Morricone avait composé une musique pour cette ouverture (la scène du générique). Je l’ai écartée au mixage pour ne conserver que les bruits. Quand Ennio a vu cette séquence, il a écouté attentivement les sons, le silence, le souffle du vent. Et puis, il s’est tourné vers moi pour me dire : «C’est la plus belle musique que j’ai composée».51

En ce qui concerne le thème de l’Homme à l’harmonica avec son lamento, «Je voulais cette musique. Quand nous l’avons enregistrée, il y eu des difficultés. Il n’y a pas de notes pour l’harmonica (c’est un passage ad lib). L’instrumentiste (Franco De Gimini) ne peut pas suivre une partition. Alors, pour obtenir cette plainte de douleur qui est le thème de Bronson, je serrais la gorge du musicien. Je voulais lui faire obtenir la sonorité que je souhaitais. Il était aux limites de l’étouffement, avec des yeux exorbités, en larmes. J’ai failli l’étrangler pour de bon. Mais le résultat est formidable. La mélodie collait parfaitement avec la stature de Bronson.»52

Concernant L’Uomo, l’incidental pathétique (lamento) qui dure une minute et 3 secondes, il s’agit d’une entrée (intrata) avec son sujet péremptoire, qui annonce l’ampleur tragique de ce thème dans lequel la destinée domine la volonté des deux protagonistes (Frank et Harmonica) et nous plonge dans la sombre atmosphère d’une vendetta. Dans ce premier extrait, le seul ou le thème de l’Uomo nous soit livré intégralement, ou domine rapidement la fonction et le style musical transalpin. Si le silence précédent confère une intensité maximale, ici, la musique introduit une «densité majorée». Il crée une atmosphère oppressante. Le thème est introduit par une sombre et tumultueux legato de violoncelle qui reprend en substance l’ostinato de l’harmonica, ponctué par des roulements menaçants de tambours. Les premières notes exécutées par des pizzicati des cordes superposées aux frétillements de celles-ci (par le procédé habile de re-recording)  lourdes et tragiquement étirées. Le précédent est réexposé encore deux fois, anticipant par son caractère buté et résolu, l’inéluctabilité de l’affrontement. Ce caractère est accentué par la présence d’un cri aigu et sinistre (comme un acouphène), véritable petit serpent acoustique qui excite et subit un renversement d’hostilité.

On nous objectera que cet incidental n’est rien d’autre qu’un pléonasme en repérant l’atmosphère d’attente et de menace. Ce serait une interprétation réductrice puisque Morricone enchaîne immédiatement le  lamento de l’Homme à l’harmonica (qui est une musique pro-filmique, intérieure à l’image) avec L’Uomo qui en est le prolongement filmographique dans la «fosse d’orchestre». Oreste De Fornari l’avait parfaitement remarqué : «Dans Il était une fois dans l’Ouest, le héros joue compulsivement de l’harmonica et tout le commentaire de l’orchestre semble sortir de cet unique instrument».53 Morricone s’en explique ainsi : «Dans le cas des films de Sergio Leone, la musique part du mouvement réel, disons interne ou photographique à l’image, et suit peu à peu, tout en maintenant la proposition interne, la musique va vers l’extérieur ou les gens restent dans le réel de la scène et en même temps sont transportés en dehors. Cela rallonge la perspective intérieure des personnages. Mais on part toujours d’un moment de réalité de la musique. C’est une technique que j’ai expérimentée avec Sergio Leone, mais que l’on ne peut pas toujours utiliser. Ce sont cependant les meilleurs cas».54

Il faut voir dans l’omniprésence de la musique une façon de créer chez le spectateur des structures et des attitudes qui lui permettent d’anticiper les événements. Et ceci non seulement sur le plan de l’action dramatique mais aussi de la stricte forme musicale. Si nous définissons L’Uomo comme une «entrée», c’est parce que cet arrangement précède et annonce le thème dense et déployé du «Grand massacre» ou de «L’Homme à l’harmonica».55

Manuel De Oliveira parle de l’importance des portes dans le cinéma de John Ford. «Ah, les portes! Oui, on les voit dans plusieurs films. Il y a toujours une ouverture dans les films de Ford, les séquences ne se passent jamais complètement entre quatre murs, il y a toujours une issue. Les portes ne sont pas simplement physiques, elles sont transcendantes».56 Par contraste, Leone pouvait affirmer ceci : «Ma nature est pessimiste. Chez John Ford, on regarde par la fenêtre avec espoir. Moi, je montre quelqu’un qui a peur d’ouvrir la porte. Et s’il le fait, il reçoit une balle entre les deux yeux. Mais C’est ainsi. (…)»57 Mais chez John Ford, il semble que l’origine de la porte soit biblique. Ainsi, on peut lire dans Isaie, première partie, chapitre 22, verset 22, note c. : L’ouverture et la fermeture des portes de la «maison du roi» était une fonction du vizir égyptien, dont le maître du palais est l’équivalent en Israël. Ce sera la fonction de Pierre dans l’Église, royaume de Dieu, voir Mathieu, chapitre 16, verset 19. Ce texte sera cité par les Apôtres, chapitre 3, verset 7 et appliqué au Messie, comme le fait la liturgie dans l’antienne des Magnificat aux Vêpres du 20 décembre : «O clavis David et sceptrum domus Israël». À noter que la version intégrale du  scénario de Sergio Donati et Sergio Leone comporte 2 236 plans exactement, dont huit scènes coupées.58

Notes Bibliographiques

1 Une page d’Histoire. Le théâtre Capitol a ouvert ses portes le 2 avril 1921 pour le circuit Famous Players. Il pouvait à l’origine accueillir plus de 2 600 places (le nombre de sièges a été quelque peu réduit quelques décennies plus tard, soit à 2 378 places pour un écran) et était l’un des  théâtres parmi les plus grandioses et luxueux jamais construits à Montréal. Il a été appelé Canada’s Greatest Playhouse dans les annonces de journaux le jour de l’ouverture. Le Capitol Theatre a été fermé puis rasé en octobre 1973 pour faire place à un immeuble à bureaux. Conçu par le bureau torontois de Thomas Lamb, construit par Nathan Louis Nathanson (Premier directeur général de Famous Players Canadian Corp.) et inauguré le 2 avril 1921 avec le film Forbiden Fruit («Le fruit défendu») de Cecil B. DeMille, avec Agnes Ayers comme attraction principale. Il était situé à l’adresse suivante : 890, rue Sainte-Catherine Ouest à Montréal, Québec, H3A  3L2. Le Famous Players Canadian Corporation a été fondé le 23 janvier 1920 par Nathan Nathanson, puis vendu le 22 août 2005 pour 500 millions d’Euros au groupe Cineplex Odeon.

2 Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique : contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Bibliothèque des textes philosophiques. Fondateur : Henri Gouthier. Directeur : Jean-François Courtine, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 14e édition, octobre 1989, p. 7.

3 Carl N. Degler, Thomas C. Cochran et al., Histoire des États-Unis : La pratique de la démocratie, Paris , Economica, 1980, p. 477.  Traduction par Michel Deutsh, The Democratic Experience : A Short American History , Glenview (Illinois), Scott, Foresman and Company, 1973, 1977.

4 Un film de Stanley Kramer, sorti le 29 octobre 1969 à New York et le 29 avril 1970 à Paris.

5 Un film proposé à Sergio Leone à partir du roman de Mario Puzzo, qu’il a refusé et qui a été réalisé par Francis Ford Coppola du 29 mars 1971 au 6 août 1971 en 77 jours plutôt que les 83 prévus, avec un budget de 6,5 millions de dollars, sorti le 15 mars 1972 à New York, le 14 septembre 1972 à Rome et le 18 octobre 1972 à Paris. Le film établit un record en Italie avec 10 milliards de lires! En France, le film totalise 4 016 877 entrées dont 767 930 entrées à Paris. En 1972, le film rapporte 81,5 millions de dollars sur le marché nord-américain. Lors de sa ressortie en 1973, il rapporta 83,7 millions de dollars supplémentaires. Le film est aussi un succès à l’étranger, rapportant un total de 142 millions de dollars de recettes lors de sa sortie en salle.

6 «Sergio Donati, le western comme religion», in Oreste De Fornari, Sergio Leone : Le jeu de l’Ouest. Préface de Luc Moullet, Rome, Gremese International, 1997, p. 147. Titre original : Tutti i film di Sergio Leone, Milan, Ubulibri, 1984, p. 160.

7 Michel Ciment, Kubrick, Édition définitive, Préface de Martin Scorsese, Paris, Calmann-Lévy, 1980, 1984, 1987, 1999, 10 octobre 2001, 15 septembre 2004 et 23 février 2011, p. 312.

8 Desmond Morris, Le  Singe Nu, Paris, Éditions Bernard Grasset, 1968, 320 pages. Traducteur : Jean Rosenthal, The Naked Ape, Londres, Jonathan Cape, 1967. Desmond  Morris est né le 24 janvier 1928 près de Swindon, Wiltshire, en Angleterre, est un zoologiste vulgarisateur qui a enseigné à l’Université d’Oxford. Ce livre fut suivit par deux autres, Le couple nu et Le zoo humain.

9 André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole : technique et langage, Sciences d’Aujourd’hui, Collection dirigée par André George, Paris, Éditions Albin Michel, 1964, p. 34. L’auteur est docteur ès lettres (archéologie préhistorique) et ès science (paléontologie) qui a enseigné à l’Université de Lyon et au  Collège de France.

10 Ibidem, p. 82 et passim.

11 Robert Tremblay, L’écritoire : outils pour la lecture et la rédaction des textes raisonnés, Montréal et al, McGraw Hill Éditeurs, 1991, p. 146.

12Jacques Julliard, Ce fascisme qui vient… , Paris, Éditions du Seuil, Février 1994, p. 77.

13 Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour : Archétypes et répétitions, nouvelle édition revue et augmentée, Paris, Édition Gallimard, Collection Folio/Essais, 1969, p. 59.

14 Sergio Leone refusa de signer Les derniers jours de Pompéi qu’il tourna plan par plan, en respectant le «style» de Mario Bonnard, qui se déclara malade pour aller tourner Gastone (Rome, 26 janvier 1960) avec Alberto Sordi. C’est tout dire de la discipline et de l’extraordinaire rigueur artistique et professionnelle dont il était capable de faire preuve. Les derniers jours de Pompéi, sorti le 6 avril à Paris et le 12 novembre 1961 à Rome, puis le 17 juillet 1960 à New York et le 22 décembre 1959 à Berlin, a fait 2 483 749 entrées en France et 408 976 entrées à Paris. En comparaison, le premier péplum signé par Sergio Leone, Le Colosse de Rhodes, sorti le 16 juin 1961 à Madrid et le 25 août 1961 à Rome et le 11 septembre à Paris a récolté 1 686 128 entrées en France et 332 088 entrées à Paris. Avant toute gloire, il y a le fait d’avoir commencé.

15 François Guérif, Clint Eastwood, Paris, Henry Veyrier, 28 mars 1983, p. 56.

16 Warren Beatty est né le 30 mars 1937 (84 ans) à Richmond en Virginie, États-Unis et est le frère de Shirley MacLaine. Il avait surtout à son actif comme film notable Bonnie and Clyde (sorti le 13 août 1967 à New York et le 8 novembre 1967 à Paris) avec Faye Dunaway, d’Arthur Penn.
Leone qui désirait tourner Il était une fois en Amérique depuis 1967 était furieux contre l’acteur et le réalisateur parce qu’il s’était fait «doubler» en transposant un film des années 30 avec la nostalgie rétro. Cette proposition avait tout pour l’horripiler. Le budget de Bonnie and Clyde était de 2,5 millions de dollars et rapporta un box-office de 50 millions de dollars aux États-Unis, 70 millions dans le monde et fit 1 874 647 entrées en France. Mais le gros succès de l’année 1967 était Le lauréat (The Graduate), avec Dustin  Hoffman et Ann Bancroft, sorti le 22 décembre 1967 à New York et le 4 septembre 1968 à Paris. Avec un budget de 3 millions de dollars  il a fait un box-office de 104 472 000 de dollars sur le marché américain (mais 770 millions dans le monde) avec  1 875 000 entrées en France.

17 Charles Bronson est né Karolis Dionyzas Bučinckis (Charles Denis Buchinski) le 3 novembre 1921 à Ehnenfield, en Pennsylvanie, États-Unis et décédé le 30 août 2003 à Los Angeles, en Californie. D’origine lituanienne et mongole, il a incarné plusieurs fois des rôles d’Indiens ou de métis, mais s’est rendu célèbre par trois films à grand spectacle, Les Sept Mercenaires de John Sturges, sorti le 23 octobre 1960, La Grande Évasion de John Sturges, dont la première à Londres est sorti le 20 juin 1963 et le 4 juillet 1963 à New York. Puis enfin, Les Douze Salopards, de Robert Aldrich, le film est sorti le 15 juin 1967, que Leone admirait pour Vera Cruz, sorti le 25 décembre 1954 à New York, mais avec lequel la relation se passa mal sur le tournage de Sodome et Gomorrhe, tourné du 23 janvier 1961 au 9 juin 1961 à Aït-ben-Haddou, Marrakech et Ouarzazate au Maroc, sorti le 4 octobre 1962 à Rome, et le 21 novembre 1962 à Paris. Le film au budget de 4,5 millions de dollars rapporta seulement 2,5 millions aux États-Unis, avec 1 614 441 entrées en France. En 1968, Bronson valait seulement cent mille dollars sur le marché, l’année suivante il pouvait exiger un millions de dollars… Le film de Leone l’a propulsé au rang des Super Stars.

18 Noël Simsolo, Conversations avec Sergio Leone, Paris, 7 mai 1987, pp. 139-140.

19 Ibidem, p. 141.

20 Ibidem, pp. 145-146.

21 Christopher Frayling, Once upon a time in the West : Shooting a masterpiece. Préface de Quentin Tarantino, Londres, Reel Art Press, 2019, p. 283 et 298-299 (pour les photos de plateau d’Angelo Novi).

22 Il y avait deux grues Titan Chapman en Europe à l’époque. Il s’agit incontestablement d’un signe de luxe cinématographique. François Chevassu, Faire un film, Paris, Médiathèque Édilig, 1 janvier 1987, 264 p.

23Tourné avec un budget de seulement 730 000,00 dollars, le film fit un box-office en Amérique de 4,5 millions de dollars et de 12 millions dans le monde. Les trois tueurs incarnés par Lee Van Cleef (Jack Colby), Robert J. Wilke (Jim Pierce) et Shed Wooley (Ben Miller, le frère cadet de Frank) qui attendent Frank Miller (Van MacDonald) sont souvent cadrés en trios dans le même plan, alors que dans Il était une fois dans l’Ouest, Leone privilégie de disperser les trois desperados sur la largeur du quai (cent mètres).

24 Bible de Jérusalem, Paris, Éditions du Cerf pour le texte, 23 juillet 1973, Zodiaque, 24 mars 1978 pour les illustrations, Génèse, p. 76, chapitre 44, verset 5, note a.

25 Ibidem., Judith, chapitre 11, verset 19, note c., Exode, chapitre 11, verset 7 et la note. Josué, chapitre 10, verset 21 : «Sans qu’un chien gronde contre toi». L’expression suggère l’image de tranquillité totale qui règnera dans la région où sont installés les Israélites.

26 Dans une entrevue accordée à Massimo Moscati en 1978, Sergio Leone compare ce geste à la «coupe d’un  calice». Oreste de Fornari, op. cit., p. 19. Massimo Moscati, Western all’Italiana (Guida ai 407 film, ai registi, agli attori). Pan Editrice, Milano, 1978, p. 78. La coupe est un symbole de la condamnation que Dieu inflige. Habacuq, chapitre 16, verset 9. Ici et dans de nombreux passages prophétiques, cette coupe symbolise la condamnation que Dieu réserve à ceux qui n’ont pas respecté ses ordres. Voir Jérémie, chapitre 25, verset 15, note 9.

27 Version américaine : «What are we going to do with this one, Frank?» Version originale italienne : «E di questo che ne facciamo, Frank?».

28 V.A. : «Now that you’ve called me by name…» V.O.I. : «Or ache hai fatto il mio nome…»

29 Hitchcock/Truffaut, Édition définitive avec la collaboration d’Helen Scott (pour la traduction), Paris, Gallimard, 1983, 1993, p. 89. Première édition sous le titre original : Le Cinéma Selon Alfred Hitchcock, par François Truffaut, Paris, 1966, Robert Laffont. Il s’agit d’un best-seller de l’histoire de l’édition en cinéma, vendu à plus de deux cent mille exemplaires.

30 «Le public américain ne pouvait simplement pas accepter que je tue de sang-froid  un enfant sans défense. On peut voir le film aux États-Unis dans les programmes de nuit, mais juste quand je tire mon pistolet, la plupart des stations passent de la publicité.» Henry Fonda : Ma vie, par Henry Fonda et Howard Teichmann, Paris, Michel Lafon, 1982, pp. 356-357. Traduit de «My life» d’Henry Fonda par Marion Souaille, Orion Productions, 1981.

31 Hitchcock / Truffaut, op. cit.,  p. 31.

32 Ibidem., p. 269.

33 Pierre Billard, L’âge classique du cinéma français : Du cinéma parlant à la Nouvelle Vague. Paris, Flammarion, 1995, p. 445.

34 Noël Simsolo, op. cit., p. 144.

35 V.A. : «…this is one of them!» V.O.I. : «Questa è una!»

36V.A. : «You see Frank, there are many kinds of weapons…» V.O.I. : «Vedi Frank, ci sono  tanti tipi di armi…»

37V.A. : «…and the only one that can stop that… is this!» V.O.I. : «E l’unica che può fermare quella, à questa!ۚ»

38 « Construction Yard owner» (en anglais) ou  maître d’ouvrage de chantier.

39] V.A. : «Okay! Let’s go!» V.O.I. : (…)

40«Tantôt fragile, tantôt agressive, elle est disponible pour une vaste gamme de rôles, même ceux de femme de frontière : elle est la seule femme dans la distribution (sic) du classique Il était une fois dans l’Ouest (C’era una volta il West, 1968) de Sergio Leone. Son look est celui d’une star intellectuelle, interprète idéale de personnages farouches et difficiles». Article consacré à Claudia Cardinale, in Les séductrices du cinéma italien, Rome, Gremese International, 1997, traduit de l’Italien par Paulette Equey et Françoise Ghin, Titre italien : Stelle d’Italia Piccole e Grandi : dive del cinema italiano dal 1945 a 1968, Roma, Gremese, 1989, 1994, Prefazione di Giovanni Grazzini, p. 82. «Elle a l’intelligence d’intégrer des traits nouveaux (notamment l’aspiration à la liberté (…)». Gérard Legrand, in Dictionnaire du cinéma, sous la direction de Jean-Loup Passek, Paris, Librairie Larousse, 1986, p. 102. Dernière édition, Dictionnaire Mondiale du Cinéma, Paris, Larousse, 2011, P. 175. Claudia Cardinale a publié deux livres de mémoires : Claudia Cardinale avec Anna Maria Mori, Moi, Claudia, toi, Claudia» : Le roman d’une vie, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Paris, Bernard Grasset, 1995, 335 p. Titre original : Io, Claudia, Tu, Claudia, Edizioni Frassinelli. Claudia Cardinale, Mes étoiles : Mémoires, avec la collaboration de  Danièle Georget, Neuilly-sur-Seine, Éditions Michel Lafon, 2005, 330 p.

41V.A. : «Hey! Hey! Hey! If you want any tickets…» V.O.I. : «Ehi! Ehi! Ehi! Se volete dei bliglietti…»

42 V.A. : «…you’ll have to go around…»  V.O.I. : «..c’è, c’è lo sportello qui fuori…»

43  V.A. : «…to the front of the…»  V.O.I. : «…perche qui l’ingressso si…, già…»

44 V.A. : «Oh Well, I supposed It’ll l be all right…» V.O.I. : «Oh! Poi fate come vi pare…»

45 V.A.. : «What the hell I’m doing around here if they can come in here…» V.O.I. : «…perche qui ciascono…»

46V.A. : «and do what they damn please».   V.O.I. : «…»

47 V.A. : «I see I hope I got one… Three?» V.O.I : «Tre?» Nota bene : Le chiffre trois est omis dans la version française.

48 V.A. : «Ahhhh?…» V.O.I. : «Mmmh?…»

49V .A. : That’ll be seven dollars!» V.O.I. : «Fanno in tutto sette dollari!»

50 V.A. :«…and, and fifty cents».  V.O.I. «…e trenta cent».

51 Noël Simsolo, op. cit. pp. 146-147. Voir aussi le témoignage du compositeur dans : Anne et Jean Lhassa, Ennio Morricone : biographie, Lausanne (Suisse), Éditions Favre, S.A.,  août 1989, p. 94. Morricone a repris cet incidental dans la séquence pré-générique de Mon nom est personne (My Name is Nobody/Il mio nome è nessuno) réalisé par assistant interposé, par Tonino Valerï, première mondiale à Berlin le 13 décembre 1973, 14 décembre 1973 à Paris et 21 décembre 1973 à Rome.

52 Ibidem., pp. 140-141.

53 Oreste De Fornari, op. cit., p. 142.

54 Ennio Morricone, in Positif, no 266, avril 1983, p. 5.

55 Voir notre manuscrit sur Ultimo bolero in Almeria, 1991, partie III, «Introduction à la méthode d’Ennio Morricone», chapitre 13, thème de l’Homme à l’harmonica (thème prométhéen de la psychanalyse du feu).

56 «Les portes du paradis» entretien avec Manuel de Oliveira, Propos recueillis à Lisbonne en mai 1989 par Manuel S. Fonsera, traduit du portugais par Antonio Rodrig. In John Ford,  sous la direction de Patrice Rollet et Nicolas Saada, Paris, Éditions de l’Étoile/Cahiers du cinéma, 1990, pp. 100-101.

57 Noël Simsolo, op. cit., p. 100.

58 Sergio Donati, C’era una volt ail West (Ma c’ero anchi’o), Roma, Omero, novembre 2007, p. 36. Réédité le 1 janvier 2009 et le 19 décembre 2013.