Soifs Matériaux

CRITIQUE
SCÈNE

Texte
Élie Castiel

★★★★

Anne-Marie Cadieux [ Photo © Yanick Macdonald ]

Présenté au Festival TransAmériques 2019, l’adaptation théâtrale de Soifs, le roman de Marie-Claire Blais, est de retour pour une série de représentations inscrites au programme régulier d’Espace Go. Même spectacle, aucun changement, sauf atteindre un plus large public pour découvrir les arcanes d’un mouvement théâtral qui s’inscrit dans une démarche amorcée il y a quelques années, consistant à monter des spectacles à partir de textes littéraires inadaptables.

L’éternité
et un jour

Pari réussi pour les cosignataires Stéphanie Jasmin et Denis Marleau dont l’imaginaire permet de faire vivre l’indicible, l’âme, la mémoire, le souvenir, la pensée intellectuelle, l’instinct, l’amour, toutes ces notions abstraites non propices à la physicalité.

Et du coup, nous nous retrouvons dans des lieux inconnus, comme cette « île tropicale au cœur des Amériques » où le mot d’ordre est la dolce farniente (une sorte de douceur de vivre dont on a du mal à s’en débarrasser), sans se rendre compte qu’à force d’étancher sa soif, par oisiveté, cherchant le repos d’un monde extérieur trop tendu, les langues et les gestes finissent par se délier pour rendre compte, petit à petit, de la condition humaine.

D’où cet étrange rapport avec les comédiennes et les comédiens qui doivent, par conséquent, ajuster leur jeu, oubliant les codes établis de l’interprétation habituelle. Essayer d’entrer dans la peau d’une idée plutôt que d’un personnage, donner un souffle de vie à l’instinct, l’abandon, la jalousie, l’amour. Faire évoluer quasi physiquement des notions abstraites.

Un nouveau souffle dans l’art d’interprétation, un ton de voix qui transcende le quotidien; comme si la vie courante devenait une éternité et qu’en quelque sorte, il suffisait d’une seule journée pour que la conscience reprenne ses droits et essaie de comprendre ce qui se passe autour de soi.

Une mise en scène complice, combative, moderne, ne cherchant point à épater; consciente de l’évolution des codes de la dramaturgie. Pour exprimer et non pas impressionner.

Tout bien considéré, Soifs Matériaux , deux noms au pluriel qui transcendent leur état propre en les faisant figurés. Pour que les spectateurs, intentionnellement, soient des complices intellectuels, essayant, chacune et chacun à sa façon, de saisir l’importance et la teneur du propos.

Les périodes de temps se confondent, bien que nous soyons quand même entre la fin du XXe et le temps présent; en fait, Soifs, le roman, commence au début de 1990, dernière décennie du siècle dernier.

Mais pour des raisons qui me dépassent, il y a comme le fantôme de Tennessee Williams, auteur d’une autre époque, qui rôde parfois dans les parages. Est-ce cet endroit de villégiature qui ressemble à une plantation? Les rapports conflictuels entre les protagonistes d’un récit narratif qui n’en est pas un? Un effet de mise en scène? Le texte de Blais, si l’on se fie à ce singulier essai dramaturgique, n’évoque-t-il pas une Américanité légendaire, inventée, soumise à une humanité qui rêve de ses propres désirs?

Sur ce point, l’apport vidéo est une condition sine qua non dans ce genre de représentation. De plus en plus faisant partie de la scénographie; elle diffuse également l’idée selon laquelle les différences entre théâtre et cinéma s’évaporent de plus en plus et que les images sont devenues envahissantes, faisant partie de l’ADN du quotidien.

Emmanuel Schwartz, en avant-plan [ Photo © Yanick Macdonald ]

Une mise en scène complice, combative, moderne, ne cherchant point à épater; consciente de l’évolution des codes de la dramaturgie. Pour exprimer et non pas impressionner.

En somme, de par sa nature, Soifs Matériaux, titre on ne peut plus intrigant, est un exercice polyphonique qui évite cependant les pièges de la cacophonie. Il ne s’agit pas également de jeu pour cette distribution multiethnique (bravo à Espace Go et à UBU), mais essentiellement de présence sur scène, du rapport des unes et des uns aux autres. Sur ce point, toutes et tous manifestent cet enthousiasme nécessaire à la compréhension d’un récit et d’une adaptation dramatique inhabituels.

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ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Marie-Claire Blais

Mise en scène
Stéphanie Jasmin
Denis Marleau
Assistance à la mise en scène
Carol-Anne Bourgon Sicard
Rachel Morse
Scénographie & Vidéo
Stéphanie Jasmin
Diffusion & Montage vidéo
Pierre Laniel
Direction musicale
Philippe Brault
Musiciens
Quatuor Bozzini
Éclairages
Marc Parent
Costumes
Elen Ewing

Distribution
Florence Blain Mbaye, Jean-François Blanchard
Anne-Marie Cadieux, Sophie Cadieux
Lyndz Dantiste, Sébastien Dodge
Alice Dorval, Lucien Gittes
Fayolle Jean, Stephie Mazunya
Antoine Nicolas, Christine Pasquier
Marcel Pomerlo, Dominique Quesnel
Mattis Savard-Verhoeven, Emmanuel Schwartz
Monique Spaziani
Onyx (le chien)

Production
UBU en coproduction @
Espace Go et Festival TransAmériques
Durée
4 h
[ Incl. 1 entracte ]
Représentations @
Espace Go
Jusqu’au 16 février 2020

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

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