Éclipse

CRITIQUE
SCÈNE

texte
Élie Castiel

★★★★

Une œuvre ample, complexe, intransigeante, inflexible, assignant la mise en scène à revoir les codes établis, même lorsqu’il s’agit d’un théâtre de l’intime. Mais un for intérieur qui nous interpelle toutes et tous.

D’où un décor minimaliste sur fond noir et une salle fermée à la droite qu’on ouvre lorsque certains moments l’imposent. Comme si les quatre femmes devaient sortir de leur tanière pour nous parler de l’état des choses.

Les fondements solides d’un
nouveau théâtre de guérilla

Un avant-propos qui brise avec la tradition judéo-chrétienne du bien et du mal, de la rédemption et de la piété, selon la foi d’un Dieu unique indicible. Et par un truchement magique, Marie Brassard, l’auteure du texte et de la mise en scène (création) s’empare de la pensée bouddhiste pour remettre les pendules à l’heure en se penchant sur quelques œuvres poétiques d’amazones-poétesses de la Beat Generation.

Noble choix car ces femmes, en quelque sorte, guerrières, ont érigé les fondements d’une poésie de la révolte, de l’anti-soumission, du féminisme qui, on doit l’avouer, a pris à travers les diverses décennies qui ont suivi, de nombreuses couleurs, souvent extrêmes. Mais bon, ça c’est une autre histoire.

Avec Éclipse, on s’attend à l’apocalypse de la pensée établie, mais bien au contraire, c’est à son apothéose qu’on assiste, à sa revendication dans l’espace social, est plus précisément féminin.

Une première partie où on a droit aux « moments de la vie de quatre femmes ». C’est drôle, mais cachant des vérités sur les comportements qui paraissent, d’emblée, anodins, mais cachent en vérité des leçons de vie et de possibles faux pas.

Et puis, comme ça, sans qu’on s’y attende, simple récitation jouée par chacune des collaboratrices des poèmes choisis, parfois en langue anglaise, comme par respect pour l’original – surtitrés en français sur fond de scène qui expose simultanément en images vidéo délavées des documents d’archives fugitifs.

Nul doute que cette création de Marie Brassard est un ajout majeur dans l’Histoire de la dramaturgie québécoise. Avec ses paradoxes qui ressemblent à l’Humanité : rage, sérénité, esprit guerrier,  conciliation, profond amour des mots.

Une génération des années 1960 s’impose alors devant les spectatrices et les spectateurs (ajoutons, eux, moins nombreux dans la salle) pour une suite qui se présente comme le théâtre du recueillement, un rituel à l’amour des mots, des phrases, où symboles et métaphores prennent tout leur sens.

Il sera question d’une certaine Matilda Joslyn Cage, une militante féministe américaine du XIXe siècle, le visage en très gros plan sur l’écran vidéo. Une force de la nature, des yeux de braise et de tendresse qui parlent. On évoquera, entre autres, Denise Levertov, Anne Waldman, Hettie Jones, Diane di Prima, rejoignant officiellement ses jeunes turcs masculins de la BG, pour enfin être inscrites dans le registre de la postérité.

Nul doute que cette création de Marie Brassard est un ajout majeur dans l’Histoire de la dramaturgie québécoise. Avec ses paradoxes qui ressemblent à l’Humanité : rage, sérénité, esprit guerrier,  conciliation, profond amour des mots.

Je ne sais pour quelle raison (ou est-ce le fruit de mon imagination?), cet essai dramatique puissant a évoqué en mon esprit le cinéma guérilla de la prêtresse Lizzie Borden et ses autres acolytes. Mais dans un sens, ne doivent-elles pas quelque chose, du moins en partie, à l’injustement oubliée Maya Deren?

Lorsque Marie Brassard se présente à la fin pour saluer l’assistante, notre sens du respect redouble d’enthousiasme.

ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION
Texte
Marie Brassard

Mise en scène
Marie Brassard

Assistance à la mise en scène
Emmuelle Kirouac-Sanche

Décors & Costumes
Antonin Sorel

Éclairages
Sonoyo Nishikawa

Musique originale
Alexander MacSween

Concep vidéo
Karl Lemieux

Intégration vidéo
Guillaume Arsenault

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Distribution
Larissa Corriveau, Laurence Dauphinais
Eve Durenceau, Johanne Haberlin

Production
Théâtre de Quat’Sous
en coproduction @ Infrarouge

Durée
1 h 30 min
[ Sans entracte ]

Représentations @
T4’S
Jusqu’au 15 février 2020

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]

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