Retour à Danse Danse du chorégraphe israélien Hofesh Shechter. Il a fait partie de la Batsheva Dance Company dans son pays; installé au Royaume-Uni depuis 2002, il poursuit une carrière fulgurante qui le conduit un peu partout à travers le monde et montre ses créations dans plusieurs compagnies chorégraphique réputées. Pour cette nouvelle première, un petit avant-goût charmant, savoureux, ludique, une petite offrande aux spectateurs avec une déconstruction du French Cancan, sur la célèbre musique de Jacques Offenbach. Suivent, séparées par un entracte, les deux pièces de résistance que constitue Double Murder.
CRITIQUE. [ Danse ]
texte Élie Castiel
Clowns – [ ★★★★ ] Une série de mouvements qui, a priori, peuvent sembler répétitifs, mais à mesure que les corps s’emballent, que la musique signée Shechter lui-même offre de multiples variations, une sorte de magie contagieuse, nourrie également par l’extraordinaire jeu de lumières de Lee Curran (avec l’aide de Richard Godin), participant de ce rapport entre la forme et le fond.Suite
Suite au grand succès, en 2020, de la formule « 5 à 7 », chez Duceppe reprend Le louppour une série de représentations, sans doute, fort achalandées à en en juge par la Première hier soir.
Théâtre de poche, intime, de ces moments où en à peu près soixante minutes, la parole s’éclate, les mots, par vagues successives, parfois tempérées, deviennent houleuses, disent tout. Comme nous l’avons mentionné dans notre frontispice , ces mots qu’on cache depuis une vie de couple, ces mots qu’on décide finalement de prononcer.
Lui, presque septuagénaire, en fait 67 ans, qui, du coup, a décidé, avant que la maladie l’emporte – on mentionne Alzheimer au hasard des conversations entre le couple – avant qu’il soit trop tard, maintenant que les erreurs du passé, notamment en mode d’infidélité, ne peuvent plus se réaliser.
Même si ce qu’on ressent pour l’autre aimée est encore ressenti. Même si, de l’autre côté, on a partagé une vie par « pitié ». Plausible? Pourquoi pas? Difficile de comprendre ce que le cœur subit à telle ou telle étape de la vie.Suite
Une mise en scène qui sort de l’ordinaire, se laissant emporter par cette bouffée d’air frais qui envahit autant la salle que les rangées face aux spectateurs servant de seul décor, comme s’il s’agissait d’un confessionnal laïc qui deviendra une sorte de salle de réunion, genre AA, dans la troisième partie.
Un. Ou la promesse d’une vie ailleurs. Mani témoigne de son vécu en France, puis au Canada, puis au Québec – il faut dire ainsi puisque même si officiellement pas un « pays », il est différent du reste des membres de la Confédération. En cours de route, on dira que le Nouveau-Brunswick est la province la plus bilingue du Canada. Mais ça, c’est une autre histoire.
Je bifurque, certes, comme c’est le cas dans Un. Deux. Trois. où le génie extraordinaire de Mani Soleymanlou se permet des libertés lapidaires, directes, sans concessions. Le théâtre s’amène dans votre salon, dans votre intimité, ou encore dans une rencontre entre camarades qui voudraient discuter de l’état des lieux de la société.
Racisme systémique, binarité ou pas pou encore plusieurs genres – la biologie n’a jamais été aussi contestée – politique, cacophonie généralisée, guerre en Ukraine, Israël, la Palestine… et, en passant, le côté, dans la vraie vie, juif, d’Emmanuel Schwartz, qui, à mon humble avis, le dévoile finalement, non sans gêne, du moins selon ce qu’on peut observer, à moins qu’il ne s’agisse d’effet d’interprétation. Et puis, quelques mots dits de travers par Mani pour que la solide amitié s’estompe provisoirement.
Un. C’est se sentir chez soi dans un autre chez soi, c’est tenter de s’intégrer dans l’inintégrable – Ma faute? Leur faute? – C’est le ressenti de la plupart de ceux et celles venu d’ailleurs au Québec (j’en ai la preuve concrète).
Le public jubile car ce qu’on n’ose pas dire ouvertement se manifeste finalement, sans demies teintes, sans fausses pudeurs ni inhibitions – Le Québec est champion en ce domaine.
Imposer une mise en scène profondément viscérale. Crédit : Jonathan Lorange
Deux. La rencontre inévitable entre Emmanuel Schwartz et Mani Soleymanlou. Les deux exilés. L’un musulman (probablement peu ou pas pratiquant, peu importe), l’autre, (moitié) Juif, pas du tout pratiquant on suppose. La question-piège de la part de Mani : peux-tu me parler d’Israël? Parce qu’entre cet État et la judaïcité, quelles frontières? Question lourde de sens, de rapports ambigus, de situations embarrassantes. Le sujet est grave, mais dans la plume de Soleymanlou, essentiel, même si la réponse reste, à mon sens, inexplorée.
Le décor est dépouillé de tous ses personnages, sauf dans le cas de Mani et d’Emmanuel. La gravité du propos que le metteur en scène tente (et réussit) d’atténuer au moyen d’une stratégie de mise en situation entre le ludique et cet humour particulier, sans doute venu d’autres horizons à frontières.
Un. Deux. Trois. emballe la salle. Celle-ci justifie son ovation debout. Nous sortons finalement de l’auditorium, devenant, le temps que dure le spectacle, quasiment un témoin à charge lucide et totalement complice.
Un rappel avant la dernière partie. La Révolution islamique en Iran de 1979 est évoquée, pièce de résistance à une Diaspora qui s’invite dans d’autres cieux plus cléments. Ce thème se trouve un peu partout dans Un. Deux. Trois. Chacun des chiffres suivi d’un point, comme si le temps était volontairement suspendu. Entre quelques élucubrations intempestives, du Bécaud et son Je reviens te chercher, que les deux brillants comédiens parodient allègrement alors qu’il s’agit d’une des plus belles chansons du répertoire populaire malgré les nombreuses décennies qui nous séparent. Idem pour Bambino, chanté en arabe (en fait, la même chose s’était produite dans le film de Michel Hazanavicius, OSS 117 : Le Caire, nid d’espions, un incontournable).
Trois. Là où le décor initial se transforme en cercle fermé (une sorte de quadrature du cercle) qui conduit à une cacophonie sans retenue. Les protagonistes, toutes générations et genres confondus, expriment leur doutes, leurs désirs, leurs frustrations. Mani est perdu, assis sur une chaise, regardant, démuni, ce beau monde envahir la mise en scène. Il réagit à peine, sans résultat.
Jouer le jeu jusqu’à l’épouisement des sens. Crédit : Jonathan Lorange
Et quelques effets de style où sophistications des éclairages et mouvements (chorégraphiques) de foule rendent la pièce aussi émotionnelle que ludiquement poétique. Et du coup, arrêt pour revenir à la normale. Comme si du coup, Mani voulait nous rappeler que le Théâtre, ce n’est pas nécessairement la vie. La finale, d’une lucidité éprouvante, nous prouve jusqu’à quel point l’excercice de la création peut comporter des particularités abrasives.
Et ce racisme systémique? Cette intégration d’autres affinités? Cette identité québécoise qui ne cesse de se manifester ces derniers temps dans la sphère autant sociale que culturelle et politique?
Comme réponse : des interprètes de tous les horizons. Un intégration dans le bon sens du terme. Comme le Québec aurait dû le faire il y a bien longtemps.
En attendant, Un. Deux. Trois. emballe la salle. Celle-ci justifie son ovation debout. Nous sortons finalement de l’auditorium, devenant, le temps que dure le spectacle, quasiment un témoin à charge lucide et totalement complice. Il est déjà minuit.
ÉQUIPE PARTIELLE DE CRÉATION Texte Mani Soleymanlou
Mise en scène Mani Soleymanlou
Assistance à la
mise en scène & Régie Jean Gaudreau
Interprétation Caroline Bélisle, Florence Brunet Jean Marc Dalpé, Ziad Ek Marie-Ève Fontaine, Israël Gamache Nadia Girard Eddahia, Cory Haas France Huot, Moriana Kachmarsky John Gislain Kibaga, Anna-Laure Koop Jean-Christophe Leblanc, Lionel Lehouillier Danielle Le Saux-Farmer, Carla Mezquita Honhon Meilie Ng, Dillon Orr, Anaïs Pellin France Perras, Dominique Pétin Chloé Petit, Eric Plamondon Marco Poulin, Caroline Raynaud Gabriel Robichaud, Marie-Madeleine Sarr Emmanuel Schwartz, Mani Soleymanlou Manon St-Jules, Ines Talbi Elkahna Talbi, Chloé Thériault Xavier Yuvens, Jean-Charles Weka, Anais West
Lumières Erwann Bernard Martin Sirois
Production Orange Noyée en coproduction avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et le Festival TransAmériques.
Durée 4 h 50 min. [ Incl. 2 entractes ]
Diffusion & Billets @ Duceppe– 19 h Jusqu’au 23 octobre 2022
Avis NB : Duceppe affiche complet pour toutes les représentations. Il sera présenté dans d’autres villes. Voir site-Duceppe.
ÉTOILES FILANTES ★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon. ★★ Moyen. ★Mauvais. 0 Nul. ½ [ Entre-deux-cotes ]