La fiancée

| Bande
dessinée
|

RECENSION
Élie Castiel

★★★★

Écho

des

origines

 

Il n’est pas fréquent dans l’édition québécoise francophone que la judaïcité se prononce avec tant d’acuité. À la lecture de La fiancée, une constatation : cette urgence de parler de sa genèse par le biais d’une œuvre majeure de la littérature yiddish, Le dibbouk, de S. Ansky, maintes fois reproduite en forme théâtrale et au cinéma.

Ici, un livre où la BD prend les formes des images en mouvement. Comme ces immenses fondus au noir qui séparent un chapitre de l’autre, moments de montage qui alimentent une histoire d’amour déchu par les excès de la tradition et des velléités patriarcales d’une société bien ancrée dans ses us et coutumes.

Léa aime Khonen. Et Khonen aime Léa. Mais la jeune fille est promise à quelqu’un d’autre, à la dot beaucoup plus avantageuse. C’est alors que religion et mysticisme se mêlent dans un mélange de foi, de possession par des âmes errantes, d’exorcisme selon les rites juifs. Au cinéma, sur la scène, ça donne des résultats surprenants.

Les codes de la BD limite les possibilités, mais dans le même temps favorise immensément l’imagination. Comme parler d’une certaine forme de féminisme des premiers temps en faisant de l’(anti)héroïne une battante, une guerrière des sentiments. C’est la cas de l’auteure de ce remarquable album dessiné, moments de dialogues à l’appui, qui en entrant dans le vif du sujet, ne retient que l’essentiel dans la parole, laissant les pages imprégnées d’une mise en scène où la bande dessinée s’avère glorieuse, dramatique, tragique même, parfois d’une sensualité débordante, défiant même les interdits et même certains préceptes de la foi.

Les codes de la BD limite les possibilités, mais dans le même temps favorise immensément l’imagination. Comme parler d’une certaine forme de féminisme des premiers temps en faisant de l’(anti)héroïne une battante, une guerrière des sentiments.

Goldberg est intuitive, d’une culture approfondie, ce qui la laisse parfois s’emporter. Sa plume (ou plutôt son pinceau ou autres formes de travailler le dessin) se conjugue à tous les temps, les sautes d’humeur de cette courageuse jeune femme; à ce rapport entre la proposition initiale et ces moments où se forment les idées et l’iconographie graphique. Et un noir et blanc hallucinant, essentiel, tant par sa beauté sauvage que par sa délicatesse diaphane.

Ça se passe dans une « petite bourgade juive dans l’Ukraine di XIXe  siècle ». Lorsque Goldberg nous apprend que les Juifs de Miropol (p. 300) furent exterminés, ce qui se passe en Ukraine en ce moment fait inlassablement écho. Ce n’est sans doute pas voulu ainsi, ou peut-être que oui. Comme quoi la lecture d’une œuvre littéraire doit-elle prendre en considération le « moment » où on la découvre?

Et comme toute œuvre cinématographique qui se respecte, un écriteau « FIN » mémorable.

Éléonore Goldberg
La fiancée (Di khlh)
D’après Le Dibbouk, de S. Ansky
Traduction de Moshe Volf Dolman
Montréal : Mécanique générale, 2023
ISBN : 978-2-9251-2523-5
316 pages
[ Illustré ]
Prix suggéré : 39,95 $

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Sans intérêt. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]