La guerre aux terres saintes

IN-FOLIO
[ Questions du présent ]

texte
Élie Castiel

« Une grande civilisation n’est conquise de

l’extérieur que si elle détruite de l’intérieur »

Will Durant (historien)

Déjà, le dessin de couverture évoque le cinéma de Fritz Lang dans sa première période et le film noir américain en ce qu’il a de plus pernicieux et dans le même temps d’inquiétant  ; deux modes d’expression cinématographique où le destin de l’Homme, ce célèbre fatum, s’accorde  à la finitude de l’existence, comme s’il s’agissait d’un collage hallucinant. L’image elle-même : un de ces Dieux païens quasi monstrueux au visage dichotomique, un mélange assez rusé de pitié, de fausse piété dans le regard et de trahison, des cheveux tentaculaires et un corps cadavérique, le torse à peine poilu et dont la pilosité accueille des flammes venues de l’intérieur. Comme charpente, les gratte-ciel qu’on voit souvent dans le genre classique déjà évoqué. La plupart des étages de ces grands bâtiments sont allumés, faisant donc allusion à la nuit. La métaphore est d’autant plus saisissante.

Pourquoi une entrée en matière aussi atrabilaire ou mieux encore nihiliste; elle se résume en quelques mots : Michel Arouimi, déjà auteur, entre autres, d’essais sur le cinéma aussi annonciateurs que prophétiques de par le choix des films abordés, jette cette fois-ci son regard sur (presque) les trois religions monothéistes, sur les influences qu’elles ont eu dans le milieu de l’intelligentsia littéraire contemporaine et plus que tout, sur leur état des lieux à travers le temps. Sur leur déclin à travers les écrits qu’on leur accorde aujourd’hui.

Richement documentés, présentés comme des pièces à conviction, les propos de l’auteur de Déconstruire au cinéma (voir ici) s’autoproclame enquêteur, et rien de mal à cela; il ne recule devant rien pour citer tel ou tel érudit en la matière pour le bien-fondé de sa thèse. En ces temps de pandémie, l’ouvrage d’Arouimi pourrait-il être associé au virus, non seulement comme le meurtrier invisible du corps physique, mais tout aussi bien comme le morbide messager  d’un temps qui se meurt et d’un nouveau en devenir qu’on n’arrive pas à définir.

L’originalité dans l’écriture d’Arouimi est d’établir, à même le texte, des chapitres à l’intérieur desquels on soulignera des sous-chapitres, comme dans un plan de travail et,  cinématographiquement parlant, d’un story-board  d’où jailliraient certaines théories sur le thème en question.

Le premier chapitre, « Idole » est la mise en scène d’une publicité pour le parfum Idôle (oui, avec accent circonflexe sur le o) et incarnée par la multidisciplinaire jeune artiste Zendaya Coleman. Quel rapport entre ce clip et le thème en question? Tout se résume par cet extrait du chapitre « … les marques prestigieuses semblent tentées, à des degrés divers, et pour des raisons d’abord commerciales? Par le déni des racines culturelles occidentales, au profit d’un exotisme où ces racines ne peuvent que se perdre. Les boucles d’oreille de Zendaya sont le signe discret de l’éclat des mosquées, défiant une Jérusalem désacralisée et vouée au profit.» Et puis… « Cette affirmation de l’islam, proposé en modèle aux aspirations des amazone occidentales modernes, se fait dans un cadre ouvertement laïque… » (p. 17).

Ne passons pas par quatre chemins : des trois religions monothéistes en question, le judaïsme est la plus malmenée, faisant preuve de propos souvent sarcastiques, malicieux, tenant d’un antisémitisme post-moderne, à la limite, b.c.b.g., passant par le biais de la rhétorique la plus manipulatrice. Ainsi, le deuxième chapitre, « Délires de l’Exégèse », entame le vrai sujet dont il est question. Le judaïsme, encore un fois, est la cible préférée des auteurs comme Lawrence Durrell qui, dans son Ombre infinie de César montre sa prédilection pour les normes de croyance antiques en calomniant le « principe luciférien du judaïsme », celui de la « puissance sémite »m condensée dans la Thora… » (p. 24).

… les campus du haut-savoir sont devenus, en Occident, des terreaux d’un antisémitisme (ou antijudaïsme) nourri, en autres, par le sempiternel conflit israélo-palestinien. Ou une excuse peut-être?

Ou encore Michel Dousse et son Dieu en Guerre : la violence au cœur des trois monothéismes, où le mot violence du sous-titre en question ne sera retenu que dans le cas du judaïsme, à cause d’un dieu jaloux, autoritaire et prônant l’agression. Arouimi réagit en se tenant aux théories, entres autres, d’un Shmuel Trigano, qui tient des propos plus objectifs, ainsi qu’à sa propre analyse. Le chapitre est une bataille à n’en plus finir entre les tenants d’une critique du judaïsme et ceux qui le défendent (dont Arouimi) selon des bases qui nous paraissent solides. Le théoricien Alfred Marx qui, malgré un ton binaire quant à la judaïcité « réaffirme plusieurs fois la coprésence du singulier et l’universel, constituants de la judéité (un double registre de la mêmeté et de l’altérité… » (p. 100). Mais qu’en est-il de la religion chrétienne, issue du judaïsme? Elle semble cachée à l’intérieur de la notion judéo-chrétienne.

« Délires universitaires » est le titre du troisième chapitre, le plus intéressant, confirmant jusqu’à quel point les campus du haut-savoir sont devenus, en Occident, jusqu’à un certain point, des terreaux d’un antisémitisme (ou antijudaïsme) nourri, en autres, par le sempiternel conflit israélo-palestinien. Ou une excuse peut-être? Arouimi citera (Albert) Camus et (Zbigniew) Herbert, auteurs académiques dans cette course effrénée… « Les essais de Camus et ceux d’Herbet étant exemplaires de la désacralisation qui peut définir l’objectif de la pensée moderne. Les racines métaphysiques du judaïsme sont l’objet d’une condamnation implicite dans ces œuvres d’Hebert et de Camus qui, sans évoquer (ou si peu) la culture juive, s’en prennent aux principes spirituels qui constituent l’essence du judaïsme. » (p. 115). Arouimi, poussera plus loin la parabole sur la civilisation judéo-chrétienne, telle que vécue dans la France d’aujourd’hui. Il dira sans se gêner « … La disparition des guirlandes de Noël dans les rue de Paris en décembre est prétextée par des préoccupations économiques qui en accompagnent d’autres, sociales; comme s’il était devenu de mauvais ton de fêter la naissance du Christ, oubliée par les médias si prolixes (à la radio) quand il s’agit du ramadan. Est-ce de la laïcité? (p. 135)

Apocalypto

Et un dernier chapitre, le quatrième « Une apocalypse maya : Gibson’s Apocalypto) ». Du film d’auteur de Mel Gibson, sorti en 2006, on reconnaît les qualités formelles et le souci de vraisemblance narrative de la part du cinéaste controversé, particulièrement pour ses idées antisémites d’il y a quelques années. Par précaution, et pour éviter le conflit d’intérêt, puisque notre site est essentiellement voué aux images en mouvement, on évitera de valider ou de contester les théories arouimiennes sur la question. On retiendra en revanche ce bel exemple d’érudition « … La société que Gibson enferme dans cette cité – ceux qui ont vu le film sauront de laquelle il s’agit – est en effet le reflet de la nôtre, sur laquelle pèse la menace d’une destruction « de l’intérieur » (p. 170) dans une phrase placée en exergue du film; carton portant le titre de notre recension et qui fait tragiquement écho à notre présent.

La guerre aux terres saintes
(Coll. « Débats »)

Paris : Orizons, 2020
172 pages
[Sans ill.]