Les courts aux Oscars 2021 [ 01 ]

PRIMEUR
Sortie

Vendredi 02 avril 2021
@ Cinéma du Parc

[ DOCUMENTAIRES & FICTIONS ]

texte
Élie Castiel

Comme d’habitude, malgré la pandémie interminable, cinq films dans chacune des catégories, auxquelles s’ajoute la section « Animation » (voir texte de Luc Chaput ici.). Documentaires et Fictions confondus, le mouvement Black Lives Matter aura réussi à inciter certains jeunes réalisateurs à imaginer des situations. Le conflit au Moyen-Orient s’éternise lui aussi, et cela donne l’occasion à des valeureux d’entamer le sujet à leur façon, c’est-à-dire par la voie de la métaphore. La meilleure façon de situer tous ces univers singuliers, de suivre ces personnages ordinaires face à des situations extraordinaires, c’est d’aller d’une catégorie à l’autre, pour éviter de se disperser.
Chaque film traité sera suivi de nos traditionnelles étoiles, question de sentir le pouls des œuvres en question.

DOCUMENTAIRES

État névralgique des lieux

A Love Song for Latasha (États-Unis 2019 – 19 min)
Sophia Nahli Allison
Années 1990. Dans le centre-sud de Los Angeles, une jeune fille de 15 ans est assassinée. Un récit dramatique abordé selon les codes du cinéma expérimental, juxtaposé au réel. Une forme esthétique hybride qui renvoit à la complexité du sujet. Ni blanc, ni noir, plutôt des zones grises qui définissent souvent le genre documentaire et en même temps établissent les balises narratifs le plus souvent subjectives. Le pari de Allison est de réussir à convaincre le spectateur du bien-fondé de son approche. Les images réelles, proches de celles transmises dans les diverses chaînes de télévision ne peuvent plus être absorbées par le documentaire. Le genre exige d’autre alternatives, comme celle de la réalisatrice, consciente de son traitement quasi radical, et dans le même temps, près, voire très près de son sujet. Dans le genre, toutes les tendances sont possibles. (★★★ ½)

Un pathos irréprochable qui ne triche pas avec les sentiments.

Colette (France / Allemagne 2020 – 24 min)
Anthony Giacchino
Une perle, une réussite sur tous les plans. Une dame française de 90 ans, Colette Marin-Catherine, prend aujourd’hui la décision de voir les lieux où son frère est décédé, un camp de concentration, celui de Mittelbau Dora, près de Nordhausen, en Allemagne, pendant la Seconde Guerre mondiale. Et une jeune complice, Lucie Fouble, aussi sensible que professionnelle dans sa mission d’accompagnement. Entre les deux générations un rapport partagé comme il devrait y avoir plus souvent de nos jours. Un dialogue entre la mémoire occultée, pour ne pas dire oubliée et un présent ou l’Histoire est évacuée au nom de l’individualisme inconscient et obsessionnel. Et ce n’est pas sur la Shoah que le film parle, mais sur les milliers de morts victimes, ces héros de la Résistance française. Il était temps que la mémoire se rafraîchisse en proposant d’autres thèmes liés à ce moment de l’Histoire. Pour que les oublié(es) de la période la plus tragique du siècle dernier retrouvent leur dignité. Sans le recours au passé, le présent et le futur ne peuvent que s’effacer pour s’ouvrir inconsolablement au néant. Bouleversant, riche en émotions, un pathos irréprochable qui ne triche pas avec les sentiments. (★★★★ ½)

Do Not Split / Bùyào fēnliè (États-Unis / Norvège 2020 – 35 min)
Anders Hammer
Les émeutes étudiantes à Hong Kong en 2019. Une caméra proche de l’individu, comme si elle participait à la lutte, recevant les coups, les gaz lacrymogènes, la force policière dictée par une Chine, certes occidentalisée depuis des années, mais sujette à la dictature. Les changements n’ont jamais atteint le niveau de démocratie. Une jeunesse qui tient à avoir son destin en main. Une jeunesse qui rejoint l’Occident libre. Un Hong Kong qui se veut libre. Et des groupes, minoritaires, atteint de nationalisme chinois, exacerbé, sans légitimité face aux multiples revendications. Mais surtout une caméra qui prend tout sur son passage, les paroles, les mots, les bruits. Le cinéma est convoqué dans ses moindres détails : narration, esthétique, liberté de filmer, une sorte de cinéma-vérité de la rébellion populaire. Brillamment hallucinant, particulièrement par les risque encourus par le réalisateur. (★★★★)

Hunger Ward / Junah aljue ( États-Unis – 40 min)
Skye Fitzgerald
La docteur Aida Hussein Alsadeeq et l’infirmière en chef Mekkia Mahdi sont deux héroïnes dans un hôpital, au Yémen. La guerre, la malnutrition des enfants, les attaques sans cesse d’un camp comme de l’autre, les forces étrangères qui sont du bon ou du mauvais côté, selon notre agenda politique. En attendant, les communs des mortels souffrent, particulièrement les enfants. Ces oubliés de la terre. Et encore, la caméra, car c’est elle qui compte le plus dans les documentaires, elle témoigne ici au passé, au présent et au futur. Elle filme les visages des adultes dans toutes leurs complexités, leurs doutes, leurs souffrances intérieures. Et ces mères que rien ne peut consoler face à la perte de leur enfant. Et elle filme aussi les enfants, les survivants comme les morts. Jamais ils n’ont été aussi réels face à l’objectif de la caméra. Comme si cet appareil d’enregistrement de l’image et du son leur appartenait. Il montre jusqu’à quel point, ces jeunes à l’avenir incertain souffrent. Sans doute qu’ils ne comprennent pas la signification de ce verbe. Mais ils l’extériorisent avec un sentiment autant d’urgence, de compassion et d’espoir, bien qu’il leur semble utopique ou tout au mieux, lointain. Les petites Omeina et Abeer habitent ces sentiments avec une grâce incomparable de tristesse et de résilience. (★★★★)

Le texte suivant est signé par Luc Chaput.

A Concerto Is a Conversation (États-Unis – 13 min)
Kris Bowers et Ben Proudfoot
Un homme âgé demande à un jeune musicien de définir ce qu’est un concerto. Ce dernier répond que c’est une conversation entre un soliste et un orchestre petit ou grand. La structure du film est définie par cette phrase puisque ce film est une conversation intime entre Horace Bowers et le compositeur Kris Bowers, son petit-fils. L ‘emploi d’archives publiques et familiales permet d’illustrer de diverses manières près d’un siècle de la vie américaine. Horace a quitté adolescent la Floride sudiste où il a ressenti le racisme systémique pour se construire dans le sud de la Californie, comme homme d’affaires, une vie remplie malgré des obstacles plus masqués. Le montage de Lukas Dong intègre naturellement des épisodes de la vie du coréalisateur Kris en tant que pianiste et participant à la vie musicale de Los Angeles. La réalisation du Canadien Ben Proudfoot alterne également les gros plans sur chaque témoin avec des plans de duo plus ou moins rapprochés dans une douce musique visuelle sur les relations familiales et la transmission de valeurs universelles. (★★★ ½)

FICTIONS

Ces frontières qui nous séparent

Feeling Through (Drame – États-Unis – 2019 – 19 min)
Doug Roland
Un jeune homme a un besoin urgent de se trouver où dormir.  Personne ne répond à son appel. Un homme dans la quarantaine, cinquantaine peut-être, aveugle et sourd, a besoin d’aide pour prendre l’autobus qui tarde à venir. Deux individus que tout sépare, mais que le hasard rapproche par le truchement d’un récit imaginé par le réalisateur; une écriture solide, sans points morts, réagissant adroitement à toutes les situations et moments inattendus grâce au montage du cinéaste lui-même. Une prise de contrôle du matériel cinématographique qui le propulse dans un genre, le film d’atmosphère, teinté de message social;  on peut souhaiter qu’avec ce court, on pourra oublier l’insuccès de son premier long, Prism (2017). Doug Roland a le sens des images, et ici, il prend le soin de nous prévenir. (★★★)

Combattre, le corps  apaisant et l’esprit déterminé.

The Present / Allhadiyeh (Drame – Territoires palestiniens – 2020 – 25 min)
Farah Nabulsi
Une heureuse surprise, un film en provenance de la Palestine (pour d’autres, les Territoires palestiniens). Qu’importe puisque le message, d’une férocité impitoyable, renoue avec l’Occupation. Il est temps qu’Israël, après ses récents accords de paix et de dialogue économique, social et culturel avec des pays arabes finissent par arrêter la colonisation abrutissante et rejoignent le club des Nations. Ce souhait, serait-il un cliché qu’on entend souvent? Un père, sa petite fille. Un passage vers Israël pour s’acheter un nouveau frigidaire, tant convoité par sa femme, dont c’est bientôt l’anniversaire. Et le check-point (point de contrôle, si vous préférez), dont les images du début montre l’agglomération des individus, des hommes qui traversent d’un territoire à l’autre… pour travailler, tous agglomérées, comme s’il s’agissait de bétail. Et puis, retour à un récit intime qui n’a d’intime que la relation entre un couple et leur enfant, et l’achat, bien entendu, d’un nouveau frigo. Dignité perdue, cynisme exorbitant des gardes, humiliation. Certes la paix est un dialogue à deux. Et dans ce possible accord, il faut admettre que l’un sera plus perdant que l’autre. C’est là, dans sa forme originale, le but des négociations. La mise en scène, solide, arborant l’étendard de l’humour pince-sans-rire, est constamment étonnant et particulièrement émouvant. Et une finale d’une puissante force d’évocation, entre l’espoir combatif et la résistance désarmée, un combat remplacé par le corps  apaisant et l’esprit déterminé. De grâce, arrêtez le combat. (★★★★)

Two Distant Strangers (Drame – États-Unis 2020 – 29 min)
Tavon Free, Martin Desmond Roe
Dommage que la référence à Black Lives Matter soit si directe, incluant même le célèbre et tragique « I can’t breathe ». Ils sont deux à avoir réaliser ce court plus porté sur la mécanique cinématographique que sur le sujet. Magnifique direction photo de Jessica Young qui filme le corps féminin et le masculin avec une sensualité aussi aventureuse que délicate. Le cadre, clair, limpide, sans aspérités, se met au service du rapport de force entre les deux amants, elle et lui, d’un soir, de plusieurs soirs si l’on se fie au(x) rêve(s) récurrents, filmé(s), à chaque fois, différemment. Également la tension qui s’établit entre le personnage principal et le policier. Néanmoins, ce recours au Rashômon (1950) d’Akira Kurosawa (différente version du même fait) n’est pas tout à fait convaincant. Reste l’interprétation persuasive de Joey Bada$$ et du policier Merk, impérial Andrew Howard, acteur britannique avec plus de 80 rôles à son actif. (★★★)

White Eye / Ayn Levana (Drame – Israël 2019 – 21 min)
Tomer Shushan
Un jeune homme (Daniel Gad, excellent dans son mélange d’indifférence et d’apathie) reconnaît la bicyclette qu’on lui a volée. Il essaie de la récupérer, mais elle est barrée. Recours à quelqu’un qui pourrait lui résoudre le problème, à la police ensuite. Et une suite inattendue qui fait entrer en scène la crise des migrants, le racisme ordinaire, une prostitution galopante, les défis de l’urbanité, l’exploitation des illégaux et un Israël, malgré les avancées techniques, médicales et économiques, qui ne cesse de s’interroger; de plusieurs façons : face à son présent tumultueux et à son futur indécis. Puis, cinématographiquement, une rue urbaine d’un quartier parmi tant d’autres, souvent filmée en 360º, comme pour encercler ce qui se passe et dans la tête du jeune homme et dans celle des individus qui se trouvent, peu en cette nuit où les ennuis ne font que commencer, pour finir par éclater en mille morceaux. Et entre les lignes, une prostituée qui prend des clients passant par là en voiture, comme si elle était seule, attendant. De Tomer Shushan, qui est ici à son deuxième court sujet, après A Sight (2014) , au sujet racialement controversé, se surpasse ici. La séquence finale renvoit à un dialogue avec la notion de culpabilité et en quelque sorte, le rachat de l’âme. Car même en Israël, les individus conservent une âme même si elle ne se déploie pas toujours, si l’on en juge par certains films, de la bonne façon. Et dans un sens, Il nous est sans doute permis que le cinéaste a dû penser au chef-d’œuvre classique Le voleur de bicyclette (Ladri di bicicletti), de Vittorio De Sica. (★★★ ½ )

Le texte suivant est signé par Luc Chaput.

The Letter Room (Drame – États-Unis 2020 – 32 min)
Elvira Lind
Un geôlier est muté au service du courrier où il vérifie et numérise tous les effets postaux reçus et envoyés par les détenus. Il entretient avec la plupart de ces derniers une relation plus avenante que ses confrères, ce qui irrite quelque peu Irene, la directrice de la prison. Richard, dont la vie à l’extérieur est routinière, découvre donc une série de missives enflammées d’une Rosita à Chris, prisonnier dans la section de sécurité maximum réservée aux peines capitales. Le fait que Richard est de culture hispanophone est souligné par de nombreux indices et par l’emploi d’une musique percussive qui accompagne avec justesse ses réactions. Dans le rôle de Richard, Oscar Isaac est un interprète investi dans tous les instants et sa dégaine, plus molle est bien loin du caractère héroïque de son Poe Dameron dans la série Star Wars. Il offre ainsi un soutien constant à son épouse, la scénariste et réalisatrice Elvira Lind, auteure du documentaire primé Bobbi Jene, dans ce portrait nuancé d’un quidam trouvant le moyen d’influencer le cours d’une existence. (★★★ ½)

 

POUR LES COURTS-ANIMATION : Voir ici.

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]