Lumières vives.
Chroniques de cinéma 1947-1949

RECENSION.
[ Cinéma ]

★★★★

États

d’esprit

 

Pour les lectrices/lecteurs le d’aujourd’hui,
des films dont on n’avait jamais entendu
parlé, y compris dans le cas de certains
cinéphiles et de critiques de cinéma.
Pour notre ancien Premier ministre, une
sorte de parenthèse enchantée, une
pause à son retour d’Europe, alors qu’il
joint les rangs de Radio-Canada.

texte
Élie Castiel

Il fréquente assidument les salles de cinéma, voire avec passion. Profitant de sa plume acérée, il commente certains de ces films en publiant les commentaires dans Le Clairon, journal de Saint-Hyacinthe. Pour la mémoire, pour un regard autre sur la personnalité d’un des hommes politiques les plus influents du Québec moderne, un recueil passionnant que propose Jean-Pierre Sirois-Trahan, professeur de cinéma à l’Université Laval.

Un univers parallèle s’ouvre à nous. La plume conquérante et parfois difficile à décrypter nous jette un regard sur l’intelligentsia canadienne-française de l’époque.

Rome, ville ouverte (1945)

En ce milieu des années 40, celles d’après-guerre, alors que le grand désordre européen vient tout juste de prendre fin. En quelque sorte, Lévesque a été témoin de quelques-unes de ces dérèglements sociaux et politiques.

Critique de cinéma selon ce que nous rapporte le livre ? Pas tout à fait puisque son engagement rassemble à la fois commentaires généraux sur le cinéma de l’époque, les tendances de celles et ceux qui le suive de près et surtout de fines observations entre les films et ce qu’ils disent sur la société. Les USA dominent, les films de l’Hexagone sont, selon le cas, bien entendu, bien accueillis par une partie non négligeable du territoire francophone.

Et puis, à l’intérieur de la plupart des textes, de longueur différente selon les dates enregistrées, des digressions fort intéressantes faisant état des lieux d’une société qui semble figée dans le temps et dont la majorité des citoyens ne désirent pas vraiment le changement. Il accuse, en passant, l’antisémitisme émanant du clergé, la soumission à la parole divine et autres velléités de l’époque. D’autant plus que l’Occident vient de sortir d’un sale conflit mondial et que seul l’avenir compte sans savoir vraiment de quoi il sera fait.

Mais l’engagement de René Lévesque n’est-il pas, en soi, une marque de permutation vers une nouvelle société et vers soi-même ? Si les signes, dans ses écrits, sont de l’ordre du diaphane, sans véritables formes, il n’en demeure pas moins, si on a l’œil avisé, que des propositions s’organisent, parfois même de façon inconsciente, des paramètres s’installent, des idées progressives se forment.

Le jeune Lévesque est à ce moment dans la mi-vingtaine. Il aime la vie, les jolies femmes, adore le cinéma, qu’il fréquente plusieurs fois par semaine, est au courant sur la carrière de tel ou tel cinéaste, d’ici (pour le peux qu’il y a à l’époque) et particulièrement étranger.

Il n’hésite pas à rappeler que Montréal est une ville bilingue – ce qui, en fait, veut probablement dire que les Canadiens français parlent aussi l’anglais. Il est pris d’amour pour la langue française, a lu les textes littéraires français, allemands ou soviétiques. Lévesque est un érudit.

Une plume provocatrice, pince-sans-rire, illuminée par une soif avide du bon mot, du bon verbe. La phrase est souvent retravaillée, se permettant des pirouettes savantes qu’il administre avec un talent certain. Aucune hésitation. Au contraire, vis-à-vis de ces (quelques ?) lecteurs, une humilité conquérante même si empreinte de déformations volontaires et bigrement assaisonnées, de pauses poétiques et un recours attendri au langage populaire, bien senti, respectueux.

Un homme et son péché (1949)

Il critique avec véhémence le côte mercantilement industriel de Hollywood et ces producers immuables, reste en pamoison (et on peut bien le comprendre) devant des chefs-d’œuvre transalpin comme Rome, ville ouverte (Roma città aperta) de Roberto Rossellini ou encore l’Anglais William Powell (en collaboration avec Emeric Pressburger), et ses Red Shoes (Les chaussons rouges), dont il déplore subtilement les références à un cinéma de consommation, mais n’hésite pas à le classer quand même comme un très bon divertissement. Aussi, Un homme et son péché, de Paul Gury, dont il reconnaît  la bonne performance, sincère, des comédiens.

Il est amoureux de certaines actrices d’Hollywood et certaines d’ailleurs aussi. Il est plus conservateur en ce qui a trait aux acteurs, sauf dans le cas des Raimu, des Fresnay ou autres gloires du cinéma français qu’il trouve admirables.

Sans doute que le cinéma, instinctivement, participe de cette école de formation pour son futur engagement politique.

Bizarrement, il ne cite pas toujours les cinéastes, ce sont surtout les œuvres, les produits finis qui l’intéressent. Car pour Lévesque, ils sont les signes d’un regard documentaire sur la société. Sans doute que le cinéma, instinctivement, participe de cette école de formation pour son futur engagement politique.

En tout, 89 épisodes. Paraît-il, un 90e se cache quelque part. En attendant, c’est la découverte d’un esprit libre, magnifiquement libérateur, sans véritablement de compromis, adroitement égocentrique, sublimement muni de raison.

René Lévesque
Lumières vives.
Chroniques de cinéma 1947-1949
Édition établie et présentée

par Jean-Pierre Sirois-Trahan
Montréal : Les Éditions du Boréal, 2022
332 pages
[ Sans illustration ]
ISBN : 978-2-7646-2741-9
Prix suggéré : 39,95 $

ÉTOILES FILANTES
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½ [ Entre-deux-cotes ]