Toronto International Film Festival 2021
Deuxième partie

ÉVÈNEMENT
[ TIFF ]

Documentaires

texte
Luc Chaput

De l’emploi des archives

Attica.

   Dans la cour d’une prison tenue par des émeutiers, des hommes entrent accompagnés par un service d’ordre interne qui les protège des quolibets et autres réactions des détenus. Ce sont des observateurs aussi qualifiés de négociateurs qui tentent de résoudre cette prise d’otages à Attica dans le nord-ouest de l’état de New-York en septembre 1971. Le réalisateur américain Stanley Nelson revient sur cette mutinerie aux conséquences dramatiques qui se déroula durant cinq jours. Sa recherche lui a permis de contacter des anciens détenus, des membres des familles des gardiens ainsi que certains des observateurs pour ajouter des points de vue divers, convergents ou non sur le déroulement de cette tragédie. Nelson emploie également de nombreux types d’archives en couleur ou en noir et blanc pour expliquer le site de la prison, les conditions de détention et les divers éléments extérieurs qui ont eu prise sur ces quelques jours. Le montage amène une gradation dans la violence qui surprend même ceux partiellement au courant des conséquences de certaines décisions. L’abondance d’archives et de témoins directs ou indirects est magnifiquement orchestré par le cinéaste.

Un film de 3 minutes tourné par David Kurtz à Nasielsk en Pologne, en 1938, est découvert il y a plusieurs années dans des archives personnelles de la famille.  Ce court a été numérisé et est maintenant disponible sur le site du Musée américain de l’Holocauste; il a d’ailleurs fait l’objet d’un livre fignolé par son petit-fils Glenn Kurtz. La journaliste et écrivaine néerlandaise Bianca, collaboratrice de son conjoint le réalisateur britannique Steve McQueen (Twelve Years a Slave), revisite avec l‘aide de Glenn une deuxième fois de diverses manières après son court de 2015 ce document archéologique puisque la plupart des Polonais vus dans le film sont morts dans la Shoah. Les badauds sont étonnés d’être filmés par cette caméra plutôt rare à l’époque et certains reviennent devant l’objectif pour être sûrs de leur coup. Un des garçons ressemble d’ailleurs étrangement à Alfred E. Neuman, la mascotte du magazine satirique américain Mad. Stigter triture la pellicule, provoque plusieurs arrêts sur image et retrouve par ces doctes actions des fragments de la vie dans cette petite ville un an avant la Seconde Guerre mondiale. La cinéaste, par cet acharnement, fait de cet allongement de 3 Minutes – A Lengthening un témoignage pour l’éternité.

3 minutes – A Lengthening.

Deux Américains, après la Seconde Guerre mondiale, se rendent à Paris où le mari Paul Child  a un poste diplomatique. Son épouse Julia McWilliams  découvre alors la haute cuisine française. Cette épiphanie l’incitera à devenir rapidement cordon-bleu et à élaborer plus tard avec Simone Beck un manuel majeur de la gastronomie Mastering the Art of French Cooking. Ce livre fut un de ceux qui changèrent le rapport de ses concitoyens avec la cuisine, source de découvertes, de plaisirs, d’inventions et de variations sur des recettes déjà réussies. Après leur documentaire RBG sur la juge à la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, les réalisatrices Julie Cohen et Betsy West rendent hommage dans Julia à cette dame qui devint par sa participation à des émissions phares de la télé un personnage majeur de la vie culinaire et donc culturelle de l’Amérique du Nord. Les cinéastes puisent dans les archives très fournies de la famille Child à Harvard ainsi que dans d’autres collections pour échafauder un portrait complexe de cette dame exubérante qui comme RBG eut le soutien constant de son conjoint.

Julia.

En janvier 1973, trois hommes font irruption dans un magasin d’articles de sport pour voler de nombreuses armes. Une réaction rapide des policiers empêche leur fuite et un siège du magasin en résulte avec une dizaine d’otages comme monnaie d’échange. Une multitude de coups de feu sont tirés et la confrontation s’étire sur plusieurs jours. De plus en plus de spectateurs se pressent dans ce quartier de Williamsburg à Brooklyn, attirés par les nombreux articles de presse et de topos dans les émissions de télé ou de radio. Le réalisateur et monteur américain Stefan Forbes construit un journal à plusieurs voix contradictoires des otages, de policiers et des criminels dans une chronologie précise. Étant donné ce qui s’est passé à Attica, Harvey Schlossberg, un policier par ailleurs docteur en psychologie, propose de constituer une équipe de négociations et d’établir un échéancier de donnant-donnant pour sortir de cette crise. D’autres facteurs permettront également une issue favorable à cette impasse et le dit policier-négociateur Schlossberg, devenu professeur d’université et inventeur du terme de Syndrome de Stockholm, aidera à former d’autres équipes de ce type au FBI et dans d’autres pays qui pourront dire Hold Your Fire.

Hold Your Fire.

Le festival présentait également de nombreux documentaires dont Rescue et une ribambelle de musicaux sur lesquels nous reviendrons lors de leurs sorties en salle ou sur les plateformes. Nous avons déjà couvert Oscar Peterson: Black + White.