Un doublage qui redouble

TRIBUNE LIBRE.

texte
Sylvio Le Blanc

            Je ne reproche qu’une chose au film Beans – qui raconte la crise d’Oka de 1990 à travers les yeux d’une préadolescente mohawk – et c’est son doublage québécois.

            Une convention veut que nous acceptions les films doublés en français, même si la logique en prend parfois pour son rhume. Bien que chaud partisan de la vénérable technique bientôt centenaire (elle remonte à 1929), dans ce cas précis, elle ne fonctionne pas, et cela est dû à la proximité de la communauté mohawk.

            En effet, nous connaissons suffisamment les Amérindiens de Kahnawake et de Kanesatake, près de Montréal, pour savoir qu’ils s’expriment principalement en anglais (incidemment, la langue principale de la réalisatrice, Tracey Deer), le fédéral y ayant imposé ses règles quant à la langue d’enseignement, au mépris de la majorité francophone vivant alentour. Et ceux qui parlent français le font généralement avec un accent, alors qu’il n’y en pas dans la version doublée.

            Pour dire les choses simplement, le réalisme aurait dû être au rendez-vous. Ainsi, nous aurions entendu beaucoup d’anglais, alors que le français aurait été cantonné au bas de l’écran, où défilent habituellement les sous-titres. Je ne dis pas, si la maison de doublage québécoise avait trouvé des comédiens aptes à rendre en français l’accent pertinent, qui sait, cela aurait peut-être marché (des Amérindiens ont certes participé au doublage, mais encore eut-il fallu qu’ils doublent dans le bon registre).

            Pour tout arranger, nous traversons une période ahurissante où, dans plusieurs films doublés au Québec, les directeurs de plateau ont décidé de ne pas rendre les accents étrangers en français. Est-ce dû au manque de doubleurs crédibles en la matière (le bassin étant mince au Québec) ? Heureusement, la France n’a pas suivi cette décision irrespectueuse envers les œuvres originales.

            Voilà pourquoi, exceptionnellement, je recommande aux personnes intéressées d’aller voir ce film dans sa version originale anglaise (celle qui a notamment valu à Mme Deer l’Ours de cristal du meilleur film dans la catégorie Génération Kplus à la Berlinade et les prix du Meilleur film et du Meilleur premier film aux prix Écrans canadiens), sous-titrée en français, cela, pour plus de vraisemblance. Les Anglo-Québécois, eux, seront en terrain connu.