Deux

PRIMEUR
[ En ligne ]
Sortie
Vendredi 05 février 2021

CRITIQUE.
[ Sphères LGBT ]

texte
Élie Castiel

★★★★

Aveux et

                             chuchotements

Si le ratio 4:3 renvoit à une image intimiste au cinéma, nous faisant complices des personnages jusqu’à ce que nous nous sentions un tant soit peu envahissants, Filippo Meneghetti défie la règle avec le ratio 2:35, cette image cinémascope qui, avec son allure rectangulaire, diffuse plus d’angles d’attractions. Mais pour son premier long métrage, le cinéaste d’origine italienne établi en France transforme cette image étalée pour construire une œuvre où le caché et ce qu’on finit par révéler sont en étroite association.

Deux portes, l’une en face de l’autre, à peine quelques mètres qui les séparent, comme si les deux habitations n’en faisaient qu’une. Les visites, quotidiennes, les rendez-vous amoureux, fréquents, les repas à deux aussi. Vie de couple, sauf quand les enfants de Madeleine rendent visite à leur mère… Jusqu’à ce que la vérité éclate.

L’originalité du film, à l’instar du remarquable Amour de Michael Haneke , repose surtout sur la complicité amoureuse du couple, sur l’affirmation d’années de vie commune tue, cachée aux yeux du monde. Deux femmes dans la soixantaine, resplendissantes, prouvant que l’âge peut demeurer vénérable au cinéma.

SUCCINCTEMENT
Nina aime Madeleine. Madeleine aime Nina. Elles sont voisines. Pour tout le monde, rien de plus.

Un cinéma qui depuis quelques décennies n’a d’égard que pour les nouvelles générations. Sans vouloir généraliser, la dictature du jeunisme a atteint des proportions telles que, selon les circonstances, elle renvoit à des rapports sociaux intergénérationnels quasi inexistants, disparates, un territoire où la complicité et l’entente n’ont pas droit de cité.

Et Filippo Meneghetti change de ton. Non pas pour séduire une quelconque tranche démographique, mais pour ouvrir le débat, pour attester du bien fondé de l’idée selon laquelle le dicton populaire « l’amour n’a pas d’âge » n’est pas superflu.

Son opera prima lui permet d’entrer par la grande porte – Le film est dans la course aux Oscars du meilleur film étranger – Deux comédiennes sensationnelles, Barbara Sukowa, une des égéries de Fassbinder et Martine Chevallier, grande Dame de la Comédie-Française. Aucun affrontement entre les deux. Qui est la meilleure? Bien le contraire, un rapport salutaire où la gêne de l’une finit par se substituer à la progressive extroversion de l’autre.

Au casting, impeccable, une promesse de tous les instants, Muriel Bénazéraf, vue dans Une intime conviction (2018) d’Antoine Raimbault et, ici, d’une diablerie sauvage. Une comédienne à surveiller de près. Et Léa Drucker, Anne, la fille de Madeleine, évitant le cliché de l’ouverture d’esprit pour faire naître progressivement et non sans une certaine perplexité sa résignation face à une autre réalité.

Deux est un film d’une étonnante subtilité, bénéficiant d’une mise en scène sobre, distanciée, d’une émotion palpable, celle des mots, des silences et des choses qui traversent notre esprit sans qu’on le réalise, à notre insu.

Un des thèmes principaux, l’homosexualité féminine. Comment la vivre, l’assumer, la consommer, la situer dans une société encore, malgré les avancées, conservatrice? Car dans ce débat, les amours encore dites « interdites » sont, dans la plupart des pays occidentaux légales et acceptées dans le papier, mais se cache derrière des préjugés qu’on murmure dans les chaumières, en privé.

Deux est un film d’une étonnante subtilité, bénéficiant d’une mise en scène sobre, distanciée, d’une émotion palpable, celle des mots, des silences et des choses qui traversent notre esprit sans qu’on le réalise, à notre insu. La caméra d’Aurélien Marra (plusieurs courts) filme l’intime et l’extroverti, épousant des choix chromatiques et d’ambiance ouverts sur un brun entre l’automnal et le brumal pas trop rigoureux.

Comme s’il fallait taire des choses et en même temps les annoncer. Un dialogue amoureux de mots, de suggestions palpables, de non-dits qui veulent tout dire, un texte écrit par Meneghetti et Malysome Bovorasmy, avec la collaboration de Florence Vignon, tous trois complices d’un récit sur la sexualité qu’on finit par assumer, à coups d’hésitations, certes, mais surtout, sans trop faire de bruit, avec délicatesse, en fonçant adroitement les portes de la rectitude, sans rien casser, de peur de trop embarrasser les autres.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Filippo Meneghetti

Scénario
Malysone Bovorasmy, Filippo Meneghetti
avec la collaboration de Florence Vignon

Direction photo
Aurélien Marra

Montage
Ronan Tranchot
assisté de Julia Maby

Musique
Michele Menini

Genre(s)
Drame

Origine(s)
France – Belgique
Luxembourg

Année : 2019 – Durée : 1 h 39 min

Langue(s)
V.o. : français / s.-t.a.
Two of Us

Dist. @
Métropole Films

Classement
Tous publics

Diffusion
En ligne @
Différentes plateformes VsD

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]