HotDocs 2020 (II)

ÉVÈNEMENT
[ Programmation numérique ]

texte
Luc Chaput

Parenté, amitié, localités

The Last Archer

Une femme, dans une grande pièce vide à Madrid, travaille et regarde un écran. Des images d’archives, des films de famille illustrent ainsi la vie de son grand-père qu’elle a connu sous le surnom du dernier archer. Alberto Manrique, membre du groupe LADAC (Les Archers de l’art contemporain), peintre, illustrateur a passé l’essentiel de sa vie aux Canaries avec son épouse Dolores dite Yéya et leurs enfants. Un secret de famille rôde car ses grands-parents l’ont élevée. Descente dans la mémoire d’un vieux couple, dans la société espagnole sous Franco et dans la movida, The Last Archer (El último arquero) est imbu d’une grande tendresse pour la plupart des personnes croisées au fil de la découverte des illustrations et peintures de cet artiste qui n’a pas connu la renommée à laquelle il aurait pu s’attendre. La réalisatrice Dácil Manrique de Lara rajoute, par des effets numériques, certains motifs s’apparentant à ceux d’Escher et au réalisme magique qui sous-tendent le travail pictural de son abuelo chéri.

The Song of the Butterflies

Dans un atelier sis sur une place majeure de Lima au Pérou, un peintre aborigène Uitoto travaille. La visite que Rember Yahuarcani rend à sa famille dans la jungle amazonienne puis le périple qu’il entreprend vers sa famille éloignée en Colombie donnent une assise documentaire à ses œuvres ainsi qu’au travail de son père. Le massacre oublié de ses congénères asservis dans la production de cette autre or liquide que fut le caoutchouc et leur réincarnation dans des multiples papillons servent de points d’ancrage à ce ressourcement d’un artiste. Pour cette randonnée dans l’histoire et la culture autochtone péruvienne, The Song of the Butterflies (El canto de las mariposas) de Núria Frigola Torrent méritait le prix du moyen métrage à la place de Niña mamá (Mother-Child) d’Andrea Testa. D’ailleurs, ces deux films ont plus d’une heure et donc sont plus longs que la définition habituelle du moyen métrage de 30 à 59 minutes.
La caméra dans le cas de Testa est discrète, captant les entretiens entre ces jeunes filles ou femmes déjà mères souventes fois avant vingt ans. Les travailleurs sociaux ou infirmières de cet hôpital public argentin emploient un ton gentil pour capturer des informations et ainsi donner d’autres possibilités de contraception et de souligner la possibilité de la liberté de choix à ces jeunes femmes. Ce long métrage ressemble pourtant à plusieurs autres sur le sujet et également aux Bureaux de Dieu de Claire Simon, recréation, avec actrices dont Marceline Loridan-Ivens, du travail d’un bureau de planning familial en France.

L’image internationale des îles de l’archipel de l’État d’Hawaï en est une paradisiaque avec ses plages et des nombreux autres attraits touristiques. Cane Fire d’Anthony Banua-Simon y jette un autre regard plus critique. Le titre reprend celui d’un film de 1934 de la réalisatrice Lois Weber et connu aussi sous le nom de White Heat où des champs de cannes à sucre sont incendiés. Le cinéaste remonte, à partir de cette catastrophe, l’histoire des mouvements syndicaux des travailleurs immigrés du Sud-Est asiatique souvent traités presque comme de serfs par les conglomérats qui contrôlaient la production du sucre et de l’ananas dans l’île de Kauai. Des longs métrages connus comme Diamond Head (Le seigneur d’Hawaï) ou Blue Hawaii (Sous le ciel bleu d’Hawaï) servent de contrepoints à la démonstration que les témoignages de grands-parents du jeune réalisateur et amis de ces derniers rendent palpables par leurs photos et leurs visites en des lieux qui prennent alors un autre sens. La lutte des activistes polynésiens hawaïens de souche pour retrouver le sens de leur Histoire occultée est aussi mise de l’avant dans cette incursion qui a malheureusement plus le style d’un reportage que d’un documentaire rigoureux malgré les éléments d’enquête présentés.

Bulletproof

Une classe dans une école secondaire américaine est attaquée. Ce n’était qu’un exercice plus traumatisant pour certains. Visite de lieux d’éducation truffés de caméras de surveillance reliés à un centre de contrôle qui permet de savoir où est chaque personne dans les pièces et recoins de l’immeuble, aperçu d’une foire de la sécurité à Las Vegas, immersion dans un cours de maniement d’armes et de réponse tactique à une attaque dans cet environnement, discussion relevée dans une assemblée dans un conseil scolaire se conjuguent, se superposent et se contredisent quelquefois dans ce survol en multiples plongées de la politique de l’école-bunker qui voit le jour dans plusieurs localités américaines. Le jury a eu donc raison de décerner le prix du réalisateur émergeant international à Todd Chandler pour Bulletproof.

D’autres récompenses ont aussi été attribuées. Ce site reviendra dans les prochains mois sur ces lauréats dont Prière pour une mitaine perdue de Jean-François Lesage, gagnant du meilleur long métrage canadien ainsi que sur d’autres films vus dans cette édition à saveur si différente de Hot Docs.

[ Voir première partie ici. ]

La programmation est en ligne jusqu’au 24 juin 2020 pour les résidents de l’Ontario seulement.

https://www.hotdocs.ca/