L’autre rive

SUCCINCTEMENT.
À Montréal, des itinérants s’organisent du mieux qu’ils peuvent pour survivre dans la rue en s’abritant dans des campings urbains de fortune. Des migrants dans leur propre ville.

CRITIQUE.
[ Court métrage ]

★ ★ ★ ★

texte
Élie Castiel

Sommes-nous en droit d’affirmer que nous assistons à un « nouveau cinéma québécois », comme c’est le cas à chaque génération; cette fois-ci axé sur cet amalgame, parfois réussi, entre la fiction et le documentaire. Nous évoquons ici la stratégie mise en place par les jeunes cinéastes, celles et ceux soucieux des enjeux sociaux de la québécitude, même si parfois, le nombrilisme se manifeste et l’ego s’affiche sans crier gare, notamment chez les cinéastes-hommes, sauf bien entendu dans le genre documentaire, les principaux intéressés plus soucieux des enjeux proposés.

Si le politique est pratiquement absent du discours, il n’en demeure pas moins que les images véhiculées aujourd’hui conduisent vers une prise en charge du regard de la part des spectateurs et spectatrices que l’on somme de participer à chaque nouvelle aventure.

C’est le cas de Gaëlle Graton. Avec L’autre rive, titre on ne peut plus limitrophe, la jeune réalisatrice nous conduit dans une sorte de no man’s land, que l’on pourrait traduire en français par « terrain à découvert », voire neutre, sans frontières puisque les déjouant. Ici, des itinérants qui, faute de politiques gouvernementales (voire municipales), se construisent leurs propres territoires. D’une certaine façon,  paradoxalement, créant leurs lignes de démarcation. Cette stratégie n’est-elle pas en quelque sorte une façon « pratique » d’exprimer le discours, de formuler la parole citoyenne?

Les réfugié(e)s

Le film aurait pu se conformer au genre documentaire, mais Graton ose, s’aventure dans les terrains, souvent glissants, de la fiction pour construire une leçon d’amitié, de partage, de sentiments ambigus entre une travailleuse sociale (excellente Judith Baribeau) et une réfugiée des rues (brillante Rosalie Fortier) qui met en exergue son côté androgyne pour parler (sans le faire) sur les nouvelles orientations de genre.  Double ou voire même triple parcours de Graton, qui tient un discours aux multiples facettes en presque 18 minutes.

Réfléchir l’impact du réel.

Le plan participe constamment à soutenir une idée de base : filmer le moment, accorder au temps ce qu’il mérite comme considération, situer les personnages dans des situations organiques, viscérales, stimulant leur énergie positivement. La séquence où Rosalie ne tient pas à céder sa 39 (chambre, au Refuge, qu’elle chérit comme son « chez soi ») et d’une audace inouïe, rebelle, la mise en scène et le dispositif cinématographique s’accordant par le biais d’une entente manifeste. Effectivement, pour y parvenir, la réalisatrice bénéficie du travail photographique impeccable de Charlie Laigneau, refusant le misérabilisme et le pathos.

Le dernier plan, magnifique, est sans doute une image où l’horizon (un pont Jacques-Cartier illuminé de nuit) renferme sans doute des lendemains plus certains. Tout est dit dans cette illustration sublimement inerte, imposante.

La métropole, ou du moins, les lieux filmés, s’enferment intentionnellement en dedans de leurs emplacements précis (le refuge, la cantine, le quartier ou les quartiers dont il est question, paraissant comme des îlots dissociés). Il y a un dialogue, certes, peut-être trop proche de la fiction, là où on apprend des bribes de vie(s) privée(s). Des paroles qui montrent jusqu’à quel point l’intime, pour l’âme québécoise, est une aventure qui ne s’extériorise pas. Bons points pour Gaëlle Graton qui tente, sans y arriver, et c’est tant mieux, d’exprimer l’ouverture vers l’autre. Les protagonistes refusent de se plier à ce jeu.

Le dernier plan, magnifique, est sans doute une image où l’horizon (un pont Jacques-Cartier illuminé de nuit) renferme sans doute des lendemains plus certains. Tout est dit dans cette illustration sublimement inerte, imposante.

Gaëlle Graton, une voix à suivre.

FICHE TECHNIQUE PARTIELLE
Réalisation
Gaëlle Graton

Scénario
Gaëlle Graton

Direction photo
Charlie Laigneau

Montage
Sophie Guérin

Son
Jacob Marcoux

Musique
Paloma Daris-Bécotte

Interprètes
Judith Baribeau (Geneviève), Rosalie Fortier (Camille)
Stanley Hilaire, Olivier Aubin
Andréanne Graton, Audrey Ann Tremblay
Shakty Curbelo-Torrejon, Michel Monette (voix)

Genre(s)
Drame

Origine(s)
Québec [Canada]

Année : 2021 – Durée : 18 min

Langue(s)
V.o. : français; s.-t.a.
A Shore Away

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