Vías + Nicholas Bellefleur

CRITIQUE.
[ Danse ]

★★★ ½

texte : Élie Castiel

Elle Roy, interprète.
Crédit : Pierre Tran

Quelle approche prendre pour définir cette ouverture
de la saison 2022-2023 à Tangente si ce n’est que
par ce goût de total abandon, de rejet de tous codes
de la représentation. Et mis en perspective avec
un enthousiasme délirant. La salle elle-même,
la scène chorégraphique au centre; des deux côtés,
deux premières rangées en format coussins au sol
(il faut avoir le dos robuste et la patience soutenue),
une troisième composée de chaises placées contre
le mur, celles-ci confortable.
Arrivez dès l’ouverture des portes.

 

Rythmé

osant

le tout

pour

le tout

C’est pour la première partie, avec A Safe(r) Space, du chorégraphe Nicholas Bellefeuille, et qui dure plus longtemps que prévu. En fait, on est accueilli avec les interprètes se donnant à des sortes de réchauffements préparatoires sur des musiques évoquant le rap, la danse de rue (street-dancing), le breaking des vieilles décennies, le voguing des belles années, et autres arts (in)disciplinaires populaires.

Quelque chose de rafraîchissant lorsque cette expérience rejoint le commun des mortels, lui avouant être en prise avec sa légitimité, comme si chaque membre de l’assistance devait participer à la chorégraphie. Le ou La responsable à la console ne s’empêche pas de se joindre au spectacle, conscient(e) qu’elle/il ne sera pas aussi à l’aise que les exécutant(es), mais tout aussi prêt(e) à se donner corps et âme.

Cette aventure, sorte de happening nouveau-siècle de la « jeunesse LGBTQ » affiche son identité queer avec une certaine approche, inconsciente ou assumée, pour le discours politique. C’est enjoué, ludique, d’un rythme endiablée et ça ne cesse de bouger. Le populaire cesse quelques instants pour une musique plus douce, plus classique qui sert d’une certaine façon à reposer les danseu(res) de tant d’efforts. Ça reprend et le plaisir est immense.

Entracte ensuite afin de préparer la salle pour Sabor de mi corazón, capítulo 1 : Cumbia – Goût de mon cœur, chapitre 1 : Cumbia – du duo Vías (de l’espagnol, qui veut dire chemins, voies, perspectives). C’est selon votre interprétation. Une danseuse (Diana León) un danseur (Paco Ziel) pour ces airs où la cumbia ne résiste jamais, offrant à la salle, debout, chacun, chacune tournant, bougeant, marchant comme bon lui semble autour de cet espace dramaturgie devenu libre; mais le plus souvent, les spectateurs, d’une discipline hallucinante, tournant autour des deux danseurs comme dans les concours-de-rue de rap ou de danse de rue. Énergisant, endiablé, confirmant que la musique cubaine, africaine et autres sonorités du genre ne sont pas uniquement des airs populaires, mais classiques puisqu’ils constituent véritablement l’âme de ces peuples, inscrite dans l’ADN identitaire.

Paco Ziel et Diana LeónSabor de mi corazón.
Crédit : Pierre Tran

On a même droit à une sorte d’évocation du fameux Tropicana de la Havane, entre le cabaret légitime vieille école et sa reproduction dans un 21e siècle qui expérimente sans cesse alors qu’on est déjà à deux décennies de transformations. Car le 21e est sans doute celui des bouleversements continuels, des tests, des essais de toute sorte, quitte à ce qu’on oublie l’hier pour mieux saisir l’aujourd’hui ou même le demain.

En somme, une Première de la saison qui fait réfléchir si on se permet d’aller plus loin que le simple plaisir de s’abandonner. Mais l’abandon est la principale raison de ce spectacle en deux parties qui, bizarrement, se ressemblent et s’assemblent

Mais le moment le plus brillant dans Vías, un 33 tour vinyle rouge érotique venant du ciel avec une précision remarquable. C’est l’apothéose dans la salle. Un discours politico-social d’une brillante conviction : ce format, semblent dire les deux chorégraphes-danseurs, régnera peut-être face à tous ces Streamings, ces copies piratées, ces anti-CD de toutes sortes, ces anti-Artwork des anciennes pochettes de CD ou de 33 (qui, heureusement, existent encore) qui, à bien réfléchir, constituait le pont entre les artistes et les consommateurs. Bien entendu par souci commercial, de marketing, mais surtout pour que le produit proposé puisse démontrer habilement qu’il était construit selon les règles de l’art. Tout comme les pochettes DVD ou Blu-ray.

En somme, une Première de la saison qui fait réfléchir si on se permet d’aller plus loin que le simple plaisir de s’abandonner. Mais l’abandon est la principale raison de ce spectacle en deux parties qui, bizarrement, se ressemblent et s’assemblent

Durée
1 h 20 min approx.

[ Avec entracte ]
Diffusion @
Tangente
Jusqu’au 11 septembre 2022

ÉTOILES FILANTES
★★★★★ Exceptionnel. ★★★★ Très Bon. ★★★ Bon.
★★ Moyen. Mauvais. 0 Nul.
½ [ Entre-deux-cotes ]