Visions du Réel
2022

ÉVÉNEMENT.
[ Présentiel & En ligne ]

texte
Luc Chaput

Périples

Un homme assis sur un lit dans une grande chambre peu éclairée lit une lettre à sa conjointe. La date de 1994 est donnée ultimement. Par ce processus filmique, la réalisatrice Wenqian Zhang installe sur la durée son long métrage A Long Journey Home qui a gagné le Grand Prix de la section Burning Lights à Nyon.  Le festival était retourné en mode présentiel mais offrait un accès payant en ligne géolocalisé pour la Suisse. Le portail pour l’industrie et la presse m’était offert. Cette jeune Chinoise avec une petite caméra quelquefois dissimulée mais le plus souvent avec l’accord tacite des protagonistes filme les autres membres de sa famille dans un grand appartement d’une capitale régionale. Les relations se sont déjà détériorées entre son père et sa mère. Celui-ci est revenu vivre dans le même lieu que son ex-femme et les discussions d’argent et de statut social sous-tendent tous les rapports. La réalisatrice remonte par le moyen de lectures de lettres et de photos l’histoire de cette cellule familiale élargie. La caméra filme souvent en diagonale les individus dans leur chambre ou attablés lors de repas. La volonté d’autonomie de la jeune femme se heurte aux diktats de sa mère et le nom d’un homme, Yue, revient souvent dans les discussions sur l’installation permanente à Shanghai. Dans le générique final de Wu Kou Zhi Jia, le coproducteur avec la réalisatrice a ce même nom de Yue, indice supplémentaire dans ce portrait plutôt rugueux d’une famille de la classe aisée bénéficiaire du miracle économique chinois.

A Long Journey Home

Steel Life

À l’opposé géographique et de sujet, le réalisateur péruvien Marcel Bauer nous emmène avec Steel Life (Vida férrea) dans un long voyage ferroviaire entre Cerro de Pasco et le port de Callao. La mine d’argent dans cette ville perchée à plus de 4 300 mètres est exploitée depuis près de 400 ans. Des portraits de résidents de chaque étape importante du périple ancrent plus directement la compréhension des enjeux financiers, médicaux et sociaux qui animent ces populations. Manuel, Betty, Fernando, Federico et Victor sont ainsi photographiés en pied in situ à la fin de ces rencontres. Celles-ci sont des pauses bienvenues dans ces mouvements de locomotives, de wagons au bord de précipices ou dans des agglomérations de plus en plus grandes à mesure que l’on passe de l’altiplano à la côte. Le jury de la FIPRESCI lui a décerné avec raison son prix.

Bitterbrush

Au Nord, en Idaho, près de la frontière canadienne, deux jeunes femmes œuvrent comme cowgirls dans des conditions assez difficiles. Un camion sert de moyen de transport pour Colie et Holly, leurs chiens bergers et leurs chevaux entre des petites bicoques. Les chevaux reprennent alors du service dans des vallées assez escarpées où paissent des bœufs qu’il faut rameuter. La caméra dEmelie Mahdavian glane les confidences de ces deux femmes qui deviennent amies. Une longue séquence de dressage montre la dextérité d’une des deux sous le regard amusé de l’autre. La région décrite dans Power of the Dog a changé de diverses manières et la réalisatrice à pas feutrés la décrit avec empathie et discernement. Elle a remporté pour Bitterbrush, nom d’une plante de ces contrées, le prix spécial du jury de la Compétition.

L’industrialisation a amené au début du XXe siècle des changements dans la restauration également avec une plus grande production à la chaîne. La compagnie Horn & Hardart a ainsi inventé des restaurants bien tenus, d’allure chic où l’on payait avec des 5c ou des petits multiples de cette pièce des portions de repas présentées automatiquement dans des petites cases. Le café y était semble-t-il très bon.  La réalisatrice Lisa Hurwitz a monté la production de The Automat depuis 2013 et son caractère nostalgique s’immisce dans toutes les anfractuosités de ses images. De nombreuses personnalités viennent apporter leurs témoignages à cette histoire de succès limité à Philadelphie et New York pourtant relayé par le cinéma. Ces endroits emblématiques connaissent à la suite de la migration vers les banlieues des fermetures définitives en cascade. À côté de Mel Brooks, trop présent, le contrepoint des travailleurs qui cuisinaient les plats et remplissaient les petits casiers aurait été bienvenu.

The Automat

L’îlot

Dans un quartier de Lausanne, deux gardiens Amar et Daniel se promènent et échangent. Ils se préoccupent souvent de l’accès à une petite rivière en contrebas, la Vuachère, qui creuse depuis des millénaires son lit méandreux dans la molasse. Par ce fil ténu, Tizian Büchi a engrangé la vie de cette portion enclavée du quartier de Chandieu. Sur une longue période de plusieurs mois, à plusieurs périodes de la journée, le réalisateur vaudois en a capté avec art les bruits, les paroles, les couleurs.  L’îlot a remporté à juste titre le Grand Prix de Visions du Réel cette année. Cet aperçu du festival de Nyon continuera au fil de la prochaine année lors de sorties dans d’autres cadres en Amérique du Nord ou à Montréal.