La menthe et le cumin

PHOTO : @ Louise Savoie

RECENSION
[ Récit ]

Un texte de
Élie Castiel

★★★ ½

La photo en couverture, tirée des archives familiales de l’auteure, évoque le Maroc d’une époque révolue, du temps du Protectorat, français ou espagnol. Bien que située dans le Nord du Maroc, la ville d’Oujda, lieu de naissance des parents de Pascale Navarro, était, à l’époque, sous administration française; mais on pouvait pratiquer les autres langues, l’insulaire (l’arabe) et l’espagnol, pour les quelques ressortissants. Important de mentionner que dans le Nord-Ouest du Maroc, c’était le gouvernent espagnol qui régnait, à partir de la petite localité d’Alcazarquivir (Ksar El Kébir), jusqu’à Tétouan, là où l’espagnol tenait lieu, en plus de l’arabe, de langue officieuse. On l’appelait, la zona española. Pour les curieux, c’est là où je suis né, d’où ma connaissance de la langue de Cervantes qui ne m’a guère empêché d’en apprendre d’autres.

Le goût délicat

des anciennes odeurs

La menthe et le cumin, récit plutôt que roman, en forme de courtes séquences, très adaptables au cinéma – Pourquoi pas? Parce qu’elles réunissent la famille, les proches, parce que le rituel de la nourriture est quelque chose qui se perd dans la nuit des temps et que sa préparation (du moins selon les mots de Navarro) ressemble à un cadeau que l’on fait aux Dieux. Et surtout, parce que chaque rassemblement familial est perçu comme une fête, une façon de s’approcher le plus près de la vie. La passion latine probablement.

En mots simples, en paroles de tous les jours, l’auteure de plusieurs essais féministes et jadis, dans le bon vieux temps, journaliste à Voir, nous révèle les recettes qui non seulement nous donnent l’eau à la bouche, mais éveille également en nous la notion de partage, d’apprécier le moment présent. Par le prisme de la nourriture, et non la moindre, celle travaillée avec amour, soin du détail, des ingrédients, des épices, de tous ces accoutrements gastronomiques qui évoquent autant l’Orient que l’Occident, qu’il s’agisse des aubergines à l’escabèche, du potaje, de l’incontournable paëlla ou encore de la tortilla española (ma préférée), tel se présente ce touchant et tout à fait charmant voyage culinaire qui rappelle curieusement le film du Grec Tassos Boulmetis, Un ciel épicé / A Touch of Spice / Politiki kouzina  – Politiki faisant référence à ville d’Istanbul et non pas au mot « politikí, troisième personne au féminin, qui veut dire politique dans l’autre sens. Un récit sur la mémoire en forme de plats bien préparés.

Navarro a probablement laissé au lecteur le soin de graver dans sa mémoire sa propre histoire. Quel que soit ses origines, sa race ou son parcours social et familial.

Même souci du détail, même sens de l’inspiration. Mais plus que tout, une prise de conscience de ses origines. Et dans un contexte québécois, notamment aujourd’hui, c’est d’autant plus important que l’autre revendique autant ses racines que sa totale intégration (et pour certains, également l’assimilation) à la majorité francophone.

Un livre qu’on parcourt en quelques courtes heures, même si on tient à relire ces passages tendres qui nous rappellent une enfance insouciante malgré les quelques difficultés que nos aîné.es pouvaient encaisser. Et dans mon cas, je ne peux que remercier Navarro de me faire reprendre conscience que dans la communauté juive marocaine, existe une (certes, petite mais non négligeable) population qui, même 500 ans après l’expulsion d’Espagne subie par leurs ancêtres, a conservé la langue d’origine.

Et quand l’auteure parle de la salade cuite (de poivrons, encore une de mes préférées), elle dit entre autres que « Si les parents de mes parents n’ont jamais eu de problème avec la salade « juive », les miens ont vite compris que ce nom pouvait représenter, à mes yeux du moins, une source de malaise. » Dommage qu’elle n’explique pas les sources de cet embarras. On aurait voulu bien savoir.

Quatre des cinq dernières pages et de temps en temps, le passage entre un récit et l’autre, sont laissées en blanc. Hasard? Navarro a probablement laissé au lecteur le soin de graver dans sa mémoire sa propre histoire. Quel que soit ses origines, sa race ou son parcours social et familial.

Pascale Navarro
La menthe et le cumin :
Récits d’enfance et de cuisine
Montréal : Leméac, 2020
104 pages, sans ill.
ISBN : 978-2 7606537-9
13.95 $